Dons + Achat communautaire + Creative Commons + Partage légal = un modèle économique astucieux pour la musique !

On parle beaucoup du don en ce moment comme d’un possible modèle alternatif de financement de la création, qui permettrait de concilier le libre accès aux biens culturels avec une forme plus juste de rémunération pour l’auteur. L’idée est de créer un modèle économique de financement qui passerait par le versement de micro-paiements volontaires effectués par la masse des internautes plutôt que par des prix fixés par des intermédiaires s’interposant entre l’artiste et son public.

Le 8 septembre dernier a été officiellement lancé en France la SARD (Société d’Acceptation et de Répartition des Dons), qui se propose de mettre en place un mécanisme de répartition des dons, faits par les internautes pour les œuvres de leur choix. Cette piste de financement pourrait jouer un rôle complémentaire en cas de passage au Mécénat global ou à la Contribution créative.

Dernièrement, on apprenait que Rue89 s’apprêtait à lancer une plateforme de micro-paiement baptisée MCN (« Mécène ») pour contribuer à aider les sites d’information citoyenne, les blogs et les médias pure player à trouver des modèles économiques alternatifs à celui de la publicité. Le projet a même été accepté suite à l’appel d’offre de projets web innovants du Secrétariat d’Etat à l’économie numérique.

Ce qui est intéressant avec le don, c’est qu’il constitue une nouvelle brique du paysage numérique qui peut se combiner avec d’autres éléments existants déjà pour donner naissance à des formules originales. C’est ce qui m’a frappé lorsque je suis tombé au hasard de mes pérégrinations sur la Toile sur le label de musique indépendant Musicslu.

Musicslu
Musicslu. The Underground Music Experiment.

Le modèle économique de Musicslu repose sur le principe d’un challenge lancé à une communauté. Les artistes et le label proposent un album sur le site, dont il est possible d’écouter des extraits gratuitement en streaming. Musicslu fixe une certaine somme d’argent qui doit être récoltée dans un laps de temps déterminé. Le public est appelé à faire des promesses de dons (Pledge) qui peuvent s’effectuer directement en ligne à partir du site. Si à la date dite, le montant est atteint, l’album est publié sous licence Creative Commons Paternité-Pas d’utilisation Commerciale-Partage des Conditions à l’Identique (CC-BY-NC-SA), qui permettra en toute légalité le partage gratuit, la diffusion publique et la réutilisation  à des fins non commerciales. Dans le cas contraire, aucun montant n’est prélevé et rien ne se passe.

we are artists

Dans le cas de cette compilation « We are Artists », il faut que 1500 dollars soient réunis d’ici le 27 novembre par la communauté pour que l’album soit publié sous licence CC-BY-NC-SA.

Ce que je trouve intéressant ici, c’est la manière dont le label cible d’emblée une communauté d’achat plutôt que d’appeler des individus isolés à faire un don. On est proche d’une sorte de groupement d’achat de biens culturels qui permettra ensuite à tous de disposer de l’œuvre. Par certains côtés, cela évoque le principe des souscriptions qui sont parfois lancées pour permettre à des ouvrages scientifiques (Mélanges …) d’être publiés. Si ce n’est que la mobilisation du réseau social permet de bénéficier des effets de recommandations virales associés.

communauté d'achat
Quelque part entre la communauté d'usages et la communauté d'intérêt, la communauté d'achat ?

Pour que la logique communautaire joue à plein, il est possible de se connecter au site de Musicslu à partir de son profil Facebook et d’inviter des membres de son réseau à participer au challenge. Les promesses de don s’effectuent aussi par le biais du profil Facebook après une redirection vers Amazon.

Au final, rien de réellement révolutionnaire me direz-vous et ce n’est certainement pas ce type de modèle qui peut prétendre se substituer de manière générale aux transactions marchandes classiques. Mais la manière dont le modèle économique du don communautaire est articulée aux licences libres Creative Commons me paraît quand même astucieuse. Elle prouve aussi, si besoin était, que les licences Creative Commons peuvent être le support de véritables modèles économiques et contribuer à créer des formules hybrides mêlant le gratuit et le payant.

Je vous laisse en vous invitant à (re)lire cette excellent billet de Bibliobession « Mécénat global et … bibliothèques publiques ? » qui imagine des pistes pour tenter d’articuler le don à l’activité de prêt des bibliothèques.

Et en rappelant qu’une société de gestion collective comme la SACEM refuse toujours en France que des artistes affiliés puissent placer certaines œuvres de leur répertoire sous licence libre, à l’inverse de ce qui commence à se dessiner aux Pays-Bas par exemple.

Update du même jour :

Un commentaire me signale qu’un système similaire existe  en France : Yooook, logistique pour la création numérique (merci à foobar pour le lien !).

Il s’agit d’une plateforme qui propose également aux créateurs une solution de financement par le don, mais applicable à tous les types de contenus (musique, vidéo, logiciel, texte …). Un système de paiement en commun (la jauge à paliers) libère petit à petit l’œuvre à mesure que les dons du public progressent et les contributeurs les plus généreux peuvent se voir reconnaître le statut de « libérateurs« .

Le but avoué de la libération progressive est de permettre à l’oeuvre de bénéficier d’un maximum de visibilité par le biais du partage de fichiers :

« J’ai aussi besoin de maximiser les chances qu’a l’album de trouver son public et sa visibilité. Manifestement, la manière la plus efficace serait de le mettre à disposition de tous en intégralité, mais si je fais ça dès le départ, je dois abandonner l’idée de financer l’album en faisant payer l’accès. Comme j’ai vraiment besoin de cette visibilité et que je considère malgré tout le paiement à l’accès comme vertueux pour le début du financement, je choisis d’appliquer ce principe sur quelques chansons supplémentaires. Ces chansons seront proposées en bonus à côté de l’album ».

Du point de vue juridique, le système a l’air plus souple et de laisser plus de latitude au créateur quant au choix des licences (cliquez sur le schéma ci-dessous).

Update du 09/11/09 :

Un autre commentaire, laissé cette fois sur Owni, me suggère de parler du site de musique libre Jamendo, qui a mis lui aussi en place un modèle économique articulé autour des licences libres (je n’étais pas parti pour aller aussi loin dans le tour d’horizon des modèles économiques de la musique libre, mais pourquoi pas ? C’est tout l’intérêt des commentaires).

jamendo
Jamendo

A la différence des deux sites ci-dessus, les morceaux de musique sur Jamendo sont d’emblée placés sous licence libre (notamment les Creative Commons – toujours eux !) et disponibles librement à l’écoute et au téléchargement dans leur intégralité.

Au niveau du modèle économique, Jamendo permet aussi au public de soutenir les artistes de leur choix en faisant des dons.

Mais les choses vont plus loin, puisque le site comporte une section Jamendo Pro, qui propose aussi des licences commerciales pour de la musique placée sous licence CC-NC. Ces licences concerne soit les musiques d’ambiance pour les établissements et commerces, soit la réutilisation des morceaux dans le cadre de projets multimédia (films, jeux vidéo …). On notera que Jamendo se positionne clairement comme une alternative au système de gestion collective de la SACEM et met en avant l’avantage de pouvoir économiser la redevance SACEM en passant par ses services. Par ailleurs, Jamendo redistribue 50 % des revenus générés aux artistes (pour en savoir plus sur ce modèle économique, voir cet article sur Ecrans).

L’aspect communautaire est bien là également (possibilité de lier Jamendo et Facebook, boutons Twitter/Facebook …). La différence par rapport aux deux sites ci-dessus, c’est que le site Jamendo est également une plateforme destinée à abriter sa propre communauté. On peut en devenir membre (plus de 600 000 !), l’animer par le biais des commentaires, des dons, en parrainant des artistes, en participant à des forums, à un wiki.

Update du 11/11/09 :

Un nouveau commentaire m’invite à présent à parler de la « triade associative » de la musique libre : Dogmazic/Pragmazic/Automazic.

Le site Dogmazic est adossé à l’Association Musique ibre ! qui se donne pour mission « de soutenir et de promouvoir la création et l’exploitation musicale indépendante dans le cadre des licences dites libres ».

Le site donne accès à plus de 36 000 morceaux, placés sous diverses licences comme les Creative Commons ou la licence Art Libre. A ce stade, l’approche est résolument associative et non lucrative, même s’il est posssible de faire un don pour soutenir l’initiative.

J’aime beaucoup la page qui présente les dons où l’on voit une jauge représentant de manière très transparente les finances de l’association, ainsi que les montants nécessaires pour couvrir ses besoins (loyer, déplacements, serveurs, domaine…);

dogmazic
Dogmazic : besoins et répartition des dons

Mais Dogmazic connaît aussi des prolongements qui déclinent deux modèles économiques différents.

Le premier est le site Pragmazic, un distributeur de musique sous licence libre. Les morceaux de musique, placés en général sous des licences Creative Commons NC, sont disponibles à l’écoute et au téléchargement en intégralité. Il est possible également d’acheter les fichiers ou les CD, pour soutenir les artistes. On est donc dans un modèle intermédiaire entre la « vente » en B to C et le don. Pour inciter les utilisateurs à l’achat, Pragmazic mise sur la distinction par le biais de la qualité des fichiers et de l’absence de DRM.

pragmazic

L’initiative s’incrit dans une philosophie de promotion d’un modèle alternatif pour la création musicale et défense de la diversité culturelle :

L’objectif principal de PRAGMAZIC est de participer à un mouvement permettant à terme de valoriser l’ensemble de la chaine de création artistique autour des licences dites « de libre diffusion ».

Il ne s’agit pas de créer « une plateforme de vente en ligne de plus » mais bien de modifier la répartition des revenus générés en augmentant d’une part la rémunération des Labels et en alimentant d’autre part un fonds d’aide à la musique sous licences de libre diffusion.

PRAGMAZIC n’est donc pas une initiative purement commerciale, c’est une redéfinition des modèles économiques actuellement utilisés dans la promotion des cultures libres […]

Au travers de PRAGMAZIC et DOGMAZIC, le public peut redécouvrir une vraie diversité culturelle.

En effet, les artistes/groupes/labels évoluant dans les cultures libres proposent des oeuvres non formatées et dans un esprit qui dépasse largement l’aspect commercial de la musique, sans toutefois le négliger.

Contrairement au catalogue industriel qui doit répondre structurellement à des contraintes de rentabilité et de retour sur investissement rapide, les cultures libres présentent une diversité dans les oeuvres, les approches de création, les formats, qui demeure bien plus importante à ce jour.

Cette diversité de contenu, conjuguée avec une approche économique citoyenne permettra à terme de renouveler considérablement notre paysage culturel.

Le site indique de manière très transparente encore une fois l’affectation des sommes collectées : 65 % pour les artistes et leurs labels / 17, 5 % pour alimenter un fonds de soutien au développement de la musique libre / 17, 5 % pour Pragmazic.

pargmazic 2
Principes de fonctionnement de Pragmazic et répartition des chiffres de vente

La troisième branche du projet est Automazic, qui s’appuie cette fois sur un modèle économique en B to B. Ils ‘agit d’une borne d’écoute et de téléchargement conçue pour les établissements comme des bibliothèques afin de proposer à leurs usagers un catalogue de 26 000 oeuvres de musique libre issue de Dogmazic.

automazic
La borne Automazic


Ce projet a été élaboré en collaboration avec l’ACIM (Association pour la Coopération des professionnels de l’Information Musicale) et expérimenté d’abord à la médiathèque de Gradignan. La borne est aujourd’hui présente dans un nombre croissant de bibliothèques en France, ce qui est logique si l’on considère les lacunes de l’offre commercial en matière de musique numérique à destination des bibliothèques.

Pour revenir au thème développé à l’origine dans ce billet, je dirais que la triade Dogmazic/Pragmazic/Automazic illustre la variété des modèles économiques que l’on peut bâtir autour des licences libres. Et encore une fois la dimension communautaire est très forte, ici sous la forme d’une identitié associative et militante affrimée plus que sous celle du réseau social.

 


11 réflexions sur “Dons + Achat communautaire + Creative Commons + Partage légal = un modèle économique astucieux pour la musique !

  1. Yooook par contre à l’air plus exhaustif (ne se limite pas à la musique, propose des licences différentes, des goodies pour les gens qui aident à liberer, etc.). Peut être trop exhaustif ?

    1. Merci pour l’info !

      J’ai modifié le billet pour signaler l’existence de Yooook (que d’oooo !) aux lecteurs.

      En effet, Yooook décline sa formule pour tous les types de contenus. Je ne sais pas si une stratégie sélective est plus payante en la matière.

      A vue d’oeil, j’ai l’impression que la plateforme Yooook est plus riche au niveau des des possibilités qu’elle offre, mais la dimension sociale me paraît un peu moins bien prise en compte.

      Cela dit, je ne suis loin d’être un spécialiste de la musique libre …

      Dans les deux cas cependant, l’infrastructure juridique est intéressante.

  2. En plus de Jamendo, il faut aussi signaler une autre société tricéphale : (Pragmazic, Automazic et Dogmazic). Qui se charge de distribuer de la musique sous licence libre. Formule alternative au tout payant, a faire connaître.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.