Filons de S.I.Lex #15 : le relevé des fouilles de la semaine

Entre deux réveillons un petit tour de veille quand même !

Je ne sais pas si c'est le fait de collectionner les silex virtuels depuis des mois, mais je vous avoue que j'adorerais faire ça ! (Flint Knapper 01. Par Wessex Archeology. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

I Débats à propos du droit d’auteur

Une présentation concise et claire des différences qui séparent les deux grands systèmes de propriété intellectuelle dans le monde, articulée autour de la notion de droit moral. Françoise Benhamou montre cependant que la distinction entre Copyright et droit d’auteur est moins marquée que l’on ne pourrait penser, notamment en raison d’une certaine dérive « patrimoniale » du droit moral. Et de terminer sur cette conclusion :

A l’heure d’Internet, quand l’œuvre peut être déformée, revue, réappropriée sur les réseaux, le droit moral, confortable et vertueux, doit-il être conforté ou marginalisé ? Le moins qu’on puisse dire est que la réponse ne va pas de soi.

Billet eschatologique chez Narvic, qui soulève une question centrale : un droit « existe-t-il » encore lorsque le système n’est plus en mesure d’en assurer l’effectivité, à cause des évolutions technologiques ? Le droit d’auteur n’étant plus réellement applicable, ne faut-il pas renoncer à l’adapter aux nouvelles réalités numériques, pour passer à l’invention de modèles radicalement différents ? Difficile de répondre… Ce n’est peut-être pas un hasard si l’effectivité du droit d’auteur revient en force en ce moment par le biais des accords ACTA.  Les rapports entre effectivité et existence du droit sont de plus très complexes. Les lois qui punissent l’homicide n’ont jamais empêché les meurtres et elles ont une valeur symbolique au delà de leur seule effectivité. Le droit relève du devoir être et non de l’être… bon, j’arrête là… je continuerai chez Narvic !

II Copyfraud !

Le Copyfraud consiste à revendiquer irrégulièrement un droit d’auteur sur une oeuvre afin d’en contrôler l’usage, alors même que les droits ont expiré ou que l’objet ne peut être protégé par des droits d’auteur (Pour en savoir plus cliquez sur la perle ci-dessous).
Copyfraud

Cette semaine nous a gratifié de deux cas exemplaires de copyfraud (il faudrait d’ailleurs inventer un Copyfraud Awards !).

Vous ne rêvez pas ! Et spiritus san©tis… Afin de lutter notamment contre certaines dérives mercantilistes conduisant certains à vendre des hamburgers ou des savonnettes à l’effigie du Saint Père, le Vatican a publié un communiqué annonçant la création du « copyright spécial », pour soumettre à autorisation préalable l’usage de tout élément ayant trait à la personne du Pape (son nom, son image, ses insignes…). Au mieux, c’est un abus de langage, car on ne voit pas en quoi cette revendication peut s’appuyer sur le copyright (le Pape n’est pas une oeuvre ou alors seulement l’oeuvre de qui-vous-savez !). Cette prétention lorgnerait plutôt du côté du droit à l’image ou du droit… des marques ! Avec un risque sérieux de déboucher vers une forme d’appropriation du réel et de contrôle de l’information… La marionnette du pape aux Guignols de l’info sera-t-elle soumise à autorisation ? Que reste-t-il de la liberté d’informer s’il faut demander une autorisation pour citer un nom ? Mais je ne doute pas qu’un tribunal délierait au ciel jurisprudentiel promptement ce que le pape a cru pouvoir lier sur terre par ce communiqué bien bancal !

Le Comité International Olympique s’était déjà illustré en voulant interdire la diffusion des photographies amateurs prises lors des Jeux. Cette fois, il entend empêcher et soumettre à contrôle « les chansons non sollicitées » évoquant les Jeux olympiques. Ce qui est intéressant (si l’on peut dire) dans ces affaires, c’est la manière dont le CIO utilise les ficelles contractuelles pour arriver à ses fins. Pour les photos, c’était les billets des manifestations qui comportaient des clauses impliquant la non-diffusion des clichés prise lors des évènements. Pour les chansons, ce sont des contrats de cession  envoyés directement aux artistes.

III Droit de l’Internet/Droit de l’Information

10 ans d’évolution du droit de l’internet présentés par le biais de grandes décisions de justice françaises. Une occasion de mesurer les difficultés de l’adaptation du droit aux réalités et aux pratiques numériques, ainsi que la place centrale qu’occupe le juge dans cette dynamique.

Une étude très fouillée par le cabinet néerlandais IVIR de ces « contenus produits par les usagers » qui soulèvent bien des questions juridiques. Le document aborde à la fois les aspects liés à la propriété intellectuelle et notamment l’articulation entre les lois et les dispositions contractuelles (CGU des services), mais aussi les questions de responsabilité, de contrôle des données personnelles, de relations entre les usagers et les plateformes. Lorsque l’utilisateur devient aussi éditeur de contenus et producteur de données, beaucoup de catégories juridiques sont brouillées.

Google Book, Kindle d’Amazon, Nook de Barnes & Noble, Sony Reader… peuvent-ils lire par dessus votre épaule, c’est-à-dire collecter et utiliser des données concernant vos actes de lecture numérique ? Si l’on en croit cette étude d’EFF, oui et même de manière inquiétante (à part le Sony Reader qui semble se démarquer nettement de ses concurrents de ce point de vue).

IV Culture libre et Copyleft

En partenariat avec Wikimedia Allemagne et Creative Commons Allemagne, TextGrid, un vaste ensemble de textes essentiels de la littérature allemande des origines aux débuts du 20ème siècle, va être mis en ligne sous licence Domaine public ou CC-BY (pour les métadonnées).

Si vous avez manqué ces images de train roulant dans les vastes étendues glacées nordiques, courrez-y ! C’est très reposant, parfaitement de saison, et fort encourageant pour ce qui est de l’usage des licences Creative Commons par les institutions publiques.

V Google Book Search

[Bonne résolution pour 2009 : moins parler de (ou des) affaires Google Book Search. Pas facile à tenir, j’en ai peur !]

Très bonne ressource pour comprendre les subtilités du nouveau règlement Google Book et notamment la position des auteurs en son sein.

Une question essentielle traitée de manière consistante dans cette étude. Il y a peu de chances hélas que l’on ait un jour une réponse de la bouche d’un juge, puisque qu’aux Etats-Unis, le règlement a justement pour but d’éviter le terrain du fair use (usage équitable) et qu’en France, le TGI a choisi d’écarter l’application du droit américain. Et pourtant…

Parmi toutes les réactions à l’annonce de la condamantion de Google la semaine dernière par le TGI dans son procès contre La Martinière, celle-ci a particulièrement retenu mon attention, car elle incarne précisément ce que je craignais. Fort de ce jugement, les titulaires expriment à présent des positions « débridées » qui vont bien au-delà des conclusions du juge. Alain Absire, président de la SGDL, critique par exemple le fait même que Google appose des mots clés en regard des ouvrages figurant dans Google Bok Search au nom du droit moral. Or cet argument, effectivement soulevé par l’avocate de la SGDL à l’audience, n’a pas été retenu par le TGI dans son jugement. C’est le caractère aléatoire de l’affichage des extraits qui a entrainé la condamnation de Google au titre du droit moral. On peut très vite glisser à présent vers une forme de remise en cause de la si fragile « liberté documentaire », consacrée pourtant par une jurisprudence de la Cour de Cassation (Arrêt Microfor c. le Monde)…

VI International

Une très bonne page de wiki qui rassemble des ressources et des liens en rapport avec les accords ACTA.

Le Brésil est en train de réformer sa loi sur le droit d’auteur et la question du rééquilibrage du système parait au cœur des débats. Les projets font état par exemple d’une exception permettant toute reproduction à des fins non-commerciales d’oeuvres épuisées, un système de licences pour les oeuvres orphelines, une exception éducative très large, ainsi que des mesures en faveur des bibliothèques et des archives :

“The reproduction necessary for conservation, preservation and archiving of any work, for non-commercial purposes, if carried out by libraries, archives, museums, film archives and other museum institutions”

VII En direct de la Mine de S.I.Lex

Ce n’est pas un Juriblog, mais il a bien vite rejoint mon agrégateur en bonne place. Si comme moi, vous étiez fan des articles d’Astrid Girardeau dans Ecrans, vous pouvez la retrouver sur son nouveau blog : The Internets. La formule (Flux et contenux) mélange des billets d’actu originaux avec des éléments récupérés un peu partout sur la toile et assemblé dans un flux qui déverse de l’info à jet continu ! Les questions juridiques (et notamment les grands dossiers liés aux libertés numériques : ACTA, Hadopi, LOPPSI, la neutralité du net…) figurent en bonne place au milieu d’un cocktail de curiosités numériques qui valent elles-aussi le détour (vidéos, mash up, remix au programme). A suivre aussi sur Twitter.


3 réflexions sur “Filons de S.I.Lex #15 : le relevé des fouilles de la semaine

  1. « sous licence Domaine public »

    Par définition, il n’y a pas besoin de licence pour une oeuvre tombée dans le domaine public. L’autorisation de l’utiliser provient de la loi, et non du contrat passé avec l’ayant-droit. Et c’est normal, puisque par définition il n’y a plus d’ayant-droit (expiration du monopole légal).

    1. Oui, je suis d’accord avec vous – l’appartenance au domaine public résulte des effets de la loi – mais ce n’est pas aussi simple.

      En effet, il existe bel et bien des « licences » Domaine public qui permettent à des titulaires de faire tomber par anticipation leurs oeuvres dans le domaine public, avant l’expiration des droits d’auteur. C’est une pratique assez répandue dans les pays anglosaxons.

      C’est le cas par exemple de la nouvelle licence Creative Commons Zero. On peut aussi le faire sur Wikimedia Commons (exemple) et même sur Twitter !

      Par ailleurs, nous savons bien qu’il est extrêmement difficile de trouver du domaine public « à l’état pur », notamment sur Internet. Il existe tout un tas de procédés juridiques pour faire renaître des droits sur les oeuvres du domaine public. Cela peut par exemple prendre la forme d’un copyright apposé sur une version numérique ou une couche de droit des bases de données. Si bien que même si l’oeuvre est dans le domaine public du point de vue du droit d’auteur, elle peut rester soumise à des restrictions d’usage sur la base d’autres fondements.

      C’est pour cela qu’il existe des « Licences » Domaine public (ce sont d’ailleurs plus des formes de certification que de réelles licences) qui garantissent aux utilisateurs deux choses : 1) Oui, l’oeuvre est bien dans le domaine public ; 2) Aucun autre droit n’est ajouté par ailleurs et l’usage de l’oeuvre est bien possible.

      Voyez par exemple la Public Domain Certification.

      J’aimerais comme vous que l’on puisse s’en tenir à la seule considération de la loi, mais cela ne correspond hélas pas à l’état du droit positif.

  2. Votre commentaire est tout à fait fondé, mais il appelle quelques commentaires, au moins en droit français.

    Comme vous le savez, dans notre système juridique, le droit moral est perpétuel, inaliénable et incessible. Dès lors l’auteur ne peut, par un acte de volonté, y renoncer. Imaginons un instant une oeuvre « mise dans le domaine public » par son auteur. A priori, il serait possible d’en faire « ce que l’on veut ». Mais cela implique tout de même, en droit français, le respect de certaines prérogatives de l’auteur: droit à la paternité et au respect de l’intégrité de l’oeuvre. Ce qui est tout de même une limitation importante, notamment dans l’univers numérique, ou la création d’oeuvres composites ou dérivée est constante. En termes de risques juridiques, l’auteur disposera toujours d’une action pour faire respecter ses droits moraux, et ce même s’il y a renoncé par un acte !

    Quelle valeur donner alors à ces « licences domaine public » dans notre droit ? A mon sens, elle constituent au mieux l’expression de garanties (au sens des articles 1629 du code civil), et au pire un simple usage de la profession. Dans ce dernier cas, c’est de l’article 1135 (« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. ») qu’elles tireraient toute leur valeur. Ni plus ni moins.

    En droit américain, comme le droit moral n’existe pas – ou est considérablement amoindri, cf. les quelques prérogatives des auteurs de films si je me souviens bien – il semble qu’il soit licite de mettre une oeuvre dans le domaine public.

    (et bonne année à vous !)

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