Houellebecq : extension du domaine de l’effet viral ?

On ne sait pas encore si le dernier roman de Michel Houellebecq – La carte et le territoire – aura le prix Goncourt, mais on peut d’ores et déjà lui décerner le prix de l’ouvrage le plus juridiquement incorrect de l’année !

Il n’est pas jusqu’à son titre qui ne pose problème puisque l’auteur à scandale a été accusé de l’avoir « emprunté » à un autre ouvrage. Mais ce sont surtout les libertés prises avec l’encyclopédie libre Wikipédia qui ont fait couler beaucoup d’encre. Houellebecq se serait « inspiré » d’articles de l’encyclopédie, sans faire apparaître les passages comme des citations et sans citer ses sources (ce qui contrevient aux règles de l’exception de courte citation). Les accusations de plagiat ont fusé, sans émouvoir Michel Houellebecq qui estime visiblement que sa licence poétique lui permet de faire peu de cas de celle de Wikipédia. Il est vrai que la question est délicate. On peut se rendre sur Slate.fr pour tenter d’apprécier de visu si ces emprunts constituent ou non des actes de contrefaçon. Excellent cas pratique !

La fondation Wikimedia n’ayant visiblement pas envie de se lancer dans un coûteux procès, la question aurait pu en rester là, mais Florent Gallaire sur son blog a écrit un billet très incisif, formulant une hypothèse intéressante. Wikipédia est placée sous une licence Creative Commons CC-BY-SA, qui impose deux conditions en cas de réutilisation : By = Paternité, citer le nom de l’auteur (ce que Houellebecq n’a pas fait en l’espèce – quoique !) et SA = Partage des Conditions initiales à l’identique. Selon François Gallaire, cette dernière condition pourrait bien réserver à Houellebecq une grosse surprise, façon « effet boomerang ».

En incorporant ces passages à son roman, l’auteur s’exposerait à ce qu’on appelle « l’effet viral » de cette licence libre. Les réutilisations sont permises à condition que les oeuvres créées à partir de la première soient elles-mêmes placées sous cette même licence.

C’est la conclusion du billet de Florent Gallaire (et je prends soin de bien citer ma source !) :

On ne peut donc en l’espèce que constater l’utilisation d’extraits d’articles de Wikipédia dans l’œuvre La carte et le territoire de Michel Houellebecq, ce dernier reconnaissant lui-même les faits. De plus, constatant que cette utilisation s’opère dans le cadre d’une œuvre dérivée, et excluant donc l’exception de courte citation, on ne peut que conclure à une caractérisation du délit de contrefaçon. Une mise en conformité est donc réalisée en fournissant une version de La carte et le territoire, sous licence Creative Commons BY-SA, mentionnant les auteurs des emprunts à Wikipédia.

Je ne sais pas si Michel Houellebecq marquera la littérature par son talent, mais je suis au moins sûr qu’il la marquera pour avoir été le premier auteur important à produire une de ses œuvres sous une licence libre. Il ne prétendait qu’à faire une expérimentation littéraire de collages, il est allé beaucoup plus loin, en faisant une formidable expérimentation juridique du Copyleft. Bravo Michel, et merci !

Je ne vais pas ici discuter de la réalité du plagiat ou du point de savoir si Wikipédia peut ou non être considérée comme un véritable auteur. Je vous renvoie pour cela à l’article d’Alain Beuve-Meury dans Le Monde et à la réplique d’Irène Delse sur son blog (ne ratez pas les excellents commentaires de @Jastrow75 sous le billet !). N’étant pas aussi catégorique que Florent Gallaire, je voudrais me concentrer sur la question de l’effet de viral, ce qui me permettra d’apporter certaines précisions sur la condition Share-Alike des licences Creative Commons (Rem : j’ai déjà commencé à exposer ces arguments en commentaire sous le billet d’Irène Delse).

L’effet viral et ses limites

Si l’on se reporte au Commons Deeds de la CC-BY-SA (le petit texte explicatif qui apparaît lorsqu’on clique une première fois sur une licence Creative Commons), on peut lire ceci :

A première vue donc, l’hypothèse d’une extension de l’effet viral au roman de Michel Houellebecq est plausible. Mais pour connaître les termes – et les effets – exacts d’une licence Creative Commons, il faut aller plus loin et cliquer sur le Code juridique, qui détaille les clauses du contrat.

Or celui-ci introduit une distinction entre les « oeuvres dites collectives » et les « oeuvres dites dérivées », qui a une importance fondamentale pour déterminer la portée de la clause Share-Alike en cas de réutilisation.

Les « oeuvres dites collectives » sont définies comme suit (attention, cette définition ne correspond pas à ce que notre Code entend par « oeuvre collective ») :

une oeuvre dans laquelle l’oeuvre, dans sa forme intégrale et non modifiée, est assemblée en un ensemble collectif avec d’autres contributions qui constituent en elles-mêmes des oeuvres séparées et indépendantes. Constituent notamment des Oeuvres dites Collectives les publications périodiques, les anthologies ou les encyclopédies. Aux termes de la présente autorisation, une oeuvre qui constitue une Oeuvre dite Collective ne sera pas considérée comme une Oeuvre dite Dérivée.

L’oeuvre dérivée doit de son côté être comprise ainsi (et cela correspond cette fois à ce que notre Code nomme oeuvre composite ou dérivée) :

une oeuvre créée soit à partir de l’Oeuvre seule, soit à partir de l’Oeuvre et d’autres oeuvres préexistantes. Constituent notamment des Oeuvres dites Dérivées les traductions, les arrangements musicaux, les adaptations théâtrales, littéraires ou cinématographiques […] ou toute autre forme sous laquelle l’Oeuvre puisse être remaniée, modifiée, transformée ou adaptée, à l’exception d’une oeuvre qui constitue une Oeuvre dite Collective. Une Oeuvre dite Collective ne sera pas considérée comme une Oeuvre dite Dérivée aux termes du présent Contrat.

Les deux catégories sont exclusives et le fait de retenir la qualification de l’une ou de l’autre déclenche des conditions très différentes en matière de partage à l’identique des conditions initiales. En effet, on est soumis à l’effet viral lorsqu’on utilise une création placée sous licence CC-BY-SA dans le cadre d’une oeuvre dérivée, mais pas dans celui où l’on se contente de la compiler dans un ensemble, sous la forme d’une oeuvre dite collective.

Le Code juridique de la licence prend bien le soin de préciser :

L’Acceptant peut reproduire, distribuer, représenter ou communiquer au public une Oeuvre dite Dérivée y compris par voie numérique uniquement sous les termes de ce Contrat, ou d’une version ultérieure de ce Contrat comprenant les mêmes Options du Contrat que le présent Contrat […] Les mentions ci-dessus s’appliquent à l’Oeuvre dite Dérivée telle qu’incorporée dans une Oeuvre dite Collective, mais, en dehors de l’Oeuvre dite Dérivée en elle-même, ne soumettent pas l’Oeuvre Collective, aux termes du présent Contrat.

Pour savoir si Houellebecq est susceptible de subir le sort de l’arroseur arrosé, il faut donc déterminer si son roman entre dans la case « oeuvres collectives » ou « oeuvres dérivées ». Et ce n’est pas si simple…

Collective ou dérivée, telle est la question…

A vrai dire cette question, je me la suis déjà posée à propos de la réutilisation des photos de Flickr. C’est quelque chose que je fais souvent pour illustrer les billets de mon blog et il m’arrive de reprendre des images placées sous une licence comportant la clause SA (c’était le cas dans mon billet précédent et juste pour le plaisir, je le refais ci-dessous !).

Cricket Paralysis Virus 2. Par Groovelock. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

Est-ce que le fait de reprendre cette photo m’oblige à placer mon propre blog sous la même licence CC-BY-NC-SA ? Cela m’ennuierait beaucoup, car je tiens comme à la prunelle de mes yeux à ce qu’il demeure sous licence CC-BY, la plus ouverte de toutes, qui permet en particulier la réutilisation à des fins commerciales. Mais ce n’est pas le cas, car en reprenant cette image, je ne fais que l’incorporer à mon blog et je réalise de ce fait une oeuvre collective. La licence de la photo ne « contamine » pas mon blog : il reste sous sa licence CC-By et réciproquement, la photo demeure sous sa licence d’origine. Si j’avais en revanche modifié cette photo ou si je l’avais utilisée pour constituer l’arrière-plan d’une nouvelle image dessinée à la palette graphique, j’aurais réalisé une oeuvre dérivée par partir de celle-ci et ma nouvelle création aurait été affectée par l’effet viral.

Qu’en est-il maintenant du roman de Houellebecq ? C’est en réalité assez difficile à juger, car les choses sont plus subtiles en matière de texte que d’images.

L’article de Slate.fr met en regard les passages du roman et ceux de Wikipédia, pour permettre de comparer les similitudes et les différences. Voyez par exemple, le cas de l’article Beauvais :

Certains passages de l’article sont repris tels quels ; d’autres sont légèrement modifiés ; d’autres encore semblent inspirer les passages du roman qui reprennent les informations qu’ils contiennent, sans pour autant reprendre leur forme.

Dans ces conditions, est-on véritablement en présence d’une oeuvre dérivée réalisée à partir des articles de Wikipédia ? L’apport de Houellebecq est-il suffisamment original pour recevoir ce qualificatif ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une oeuvre collective (au sens de Creative Commons), qui procède plutôt par « collage » d’oeuvres pré-existantes ?

J’avoue que je serais bien en peine de trancher de manière définitive, mais que je penche plutôt pour la seconde solution.

Les conséquences de l’option sont importantes, car si l’effet viral s’applique bien au roman de Houellebecq, n’importe qui serait en mesure de le copier, de le numériser, de le diffuser sur la toile, de le transformer en eBook, de le traduire dans toutes les langues, de l’adapter pour le cinéma ou la télévision, de le lire à la radio et ce bien sûr, y compris en poursuivant des fins commerciales ! Et ce en toute légalité, à la condition bien sûr, de citer Houellebecq comme auteur et de placer les nouvelles oeuvres produites à partir d’un roman sous la même licence CC-BY-SA (s’il s’agit bien d’oeuvres dérivées).

Au-delà de toutes ces polémiques, ce que je trouve fascinant dans la démarche de Houellebecq, c’est la façon dont il mine insidieusement la pierre angulaire de tout l’édifice du droit d’auteur à la française : la sacro-sainte originalité, qui justifierait toutes les raideurs de notre système juridique.

Quand c’est l’intelligence collective qui créée les contenus – comme c’est le cas sur Wikipédia -, les interactions entre individus donnent naissance à de troublantes « oeuvres sans auteurs », dont l’existence appelle à mon sens une profonde refonte de notre conception de la propriété intellectuelle.


16 réflexions sur “Houellebecq : extension du domaine de l’effet viral ?

  1. Le copyleft de la Licence Art Libre (depuis la v. 1.2) rend possible l’intégration d’éléments libres dans un ensemble non libre. Je cite la FAQ :

    Puis-je publier une oeuvre placée sous LAL dans un ensemble qui ne l’est pas?

    Oui, c’est possible.

    l’article 3 de la licence stipule que :
    « Tous les éléments de cette oeuvre doivent demeurer libres, c’est pourquoi il ne vous est pas permis d’intégrer les originaux (originels et conséquents) dans une autre oeuvre qui ne serait pas soumise à cette licence ».

    Cette interdiction s’applique seulement aux originaux. Une copie servile de l’oeuvre peut donc être intégrée à un ensemble (compilation, anthologie, album, collection,…) ne relevant pas de la LAL. A condition, bien sûr, que la mention LAL soit spécifiée pour votre oeuvre.
    http://artlibre.org/licence/faq#FAQ_281

    Ainsi, le copyleft est conservé mais il permet une plus grande intégration dans le monde « non libre ».

  2. pour moi qui ai contribué à wikipedia, je ne suis pas choqué de voir parfois ce que j’ai pu écrire repris par d’autres : de toute façon, il n’y a aucun droit d’auteur à la clé, et c’est un travail collectif et désintéressé, la participation à la production d’un bien public. Les écrivains se documentent, certains consultent des spécialistes, d’autres font comme moi et utilisent le net. En tant qu’informaticien, il est logique qu’il passe sa vie sur le net dans sa lointaine Irlande. On voit bien que le passage est encyclopédique, certains écrivains citent la présentation du syndicat d’initiative pour ironiser sur un lieu. Dans ce cas, utiliser le ton un peu affecté et encyclopédique de wikipedia crée un effet par rapport à ce que l’on veut écrire, donc un effet forcément littéraire.

  3. Bonjour,

    Je commente très rarement les billets de blog, mais je crois qu’ici, en réagissant à la démarche de M. Gallaire, vous avez manqué la question clé. Pour reprendre un des termes de la licence, « L’Acceptant peut reproduire […] uniquement sous les termes de ce Contrat ». Et c’est seulement dans ce cas que la licence s’applique aux oeuvres dites dérivées. Dans le cas de M. Houellebecq, si j’ai bien compris (je ne connais de l’affaire que ce que vous en avez relaté), il n’a cité ni source ni auteur, et a donc contrevenu aux termes du contrat de licence (en particulier à la clause BY). Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’oeuvre de M. Houellebecq est automatiquement sous licence libre, c’est juste éventuellement une contrefaçon. En résumé, ce n’est pas parce qu’on « pirate » (je reprends la terminologie gouvernementale officielle) une oeuvre sous licence libre virale que le résultat et sous licence libre. Encore faut-il que la licence initiale ait été respectée, sinon l’on n’a qu’une contrefaçon… Donc à mon avis le reste du texte du roman reste protégé par le régime général du droit d’auteur.

    Disclaimer : je ne suis pas juriste, bla bla bla…

    1. Bonjour,

      L’objection que vous soulevez est intéressante.

      On trouve en effet dans le Code juridique des licences Creative Commons un passage sur la résiliation libellé comme suit :

      Tout manquement aux termes du contrat par l’Acceptant entraîne la résiliation automatique du Contrat et la fin des droits qui en découlent. Cependant, le contrat conserve ses effets envers les personnes physiques ou morales qui ont reçu de la part de l’Acceptant, en exécution du présent contrat, la mise à disposition d’Oeuvres dites Dérivées, ou d’Oeuvres dites Collectives, ceci tant qu’elles respectent pleinement leurs obligations. Les sections 1, 2, 5, 6 et 7 du contrat continuent à s’appliquer après la résiliation de celui-ci.

      On peut le lire comme signifiant que la licence « saute » lorsqu’elle n’est pas respectée par la personne qui réutilise l’oeuvre.

      Cependant, je pense qu’il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette résiliation. L’idée, c’est qu’une personne qui ne respecte pas une licence Creative Commons ne doit pas pouvoir continuer à bénéficier des libertés octroyée par l’auteur initial. Mais il ne s’agit pas de permettre à celui qui a violé la licence de se protéger. Ce serait quelque peu absurde.

      Il y a d’ailleurs un principe général en droit qui exprime cela : « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » => nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Cela signifie que l’on n’a pas le droit devant un juge d’invoquer une de ses propres fautes pour se protéger.

      Dans le cas qui nous intéresse, Houellebecq en violant la licence de Wikipédia perd à coup sûr les droits qu’elle lui conférait. Mais je ne pense pas que cela le délie de ses obligations et notamment de l’effet de la clause Share Alike (pour autant qu’elle s’applique en l’espèce, ce qui n’est pas certain).

      Merci en tout cas d’avoir soulevé ce point intéressant.

      Décidément, cette affaire est extrêmement compliquée et incertaine !

      1. Ha, je ne suis toujours pas d’accord avec cette interprétation. Je ne pense pas que ce que j’ai dit relevait de la clause « coupe-circuit ». Tout ce que fait cette clause c’est qu’elle interdit désormais à M. Houellebecq de se prévaloir de la licence CC-BY-SA pour la réutilisation des passages concernés (ou de Wikipedia dans son ensemble ?). Mais regardez bien, elle aussi, elle porte une formule magique, sur la conservation des effets : « tant qu’elles respectent pleinement leurs obligations »…

        Je n’ai pas dit que M. Houellebecq pouvait se prévaloir de sa potentielle contrefaçon pour continuer de protéger son oeuvre, j’ai dit que cette (possible) contrefaçon ne permettait pas d’attenter à ses propres droits d’auteur : la clause virale ne s’applique que si l’on respecte les autres termes de la licence, ce qui n’est pas le cas ici. Prétendre que le roman entier est sous CC-BY-SA, c’est à mon avis attenter au droit de divulgation de M. Houellebecq, qui seul peut déterminer les conditions de publication de son oeuvre (sauf qu’ici il fallait également l’agrément des autres auteurs). S’il avait cité ses sources et leurs auteurs, alors en respectant la licence il aurait exercé de manière implicite son droit de divulgation, et son roman serait de fait sous CC-BY-SA, même sans qu’il l’eût mentionné. Mais en l’état actuel, c’est simplement une agrégation (oeuvre composite, dérivée ??) de ses textes, a priori protégés par le régime général du droit d’auteur, et des passages adaptés de Wikipédia, qui pourraient ou pas constituer des contrefaçons.

        Encore une fois, ce sont les élucubrations d’un non-juriste.

  4. Cette polémique aborde des questions intéressantes sur le plan du droit. Cependant, elle néglige jusqu’à présent certains aspects propres à la démarche artistique; le simple fait de déplacer une production de son contexte d’origine suffit parfois à lui conférer une autre dimension. Ici, Houellebecq a bien saisi la particularité de ce discours au style neutralisé par les multiples intervenants. Il existe aussi quelque chose de fascinant dans la prolifération infinie des textes de wikipedia (tout cela dit sans remettre cause ou se prononcer sur la qualité documentaire du projet).

    Tranposés dans un roman, ces fragments permettent au lecteur de prendre conscience de phénomènes qu’ils ne sont pas sensés abordés.

    Il a fallu le «travail» d’un créateur – l’écrivain – pour y parvenir. On ne peut donc réduire ça à du plagiat.

    Il y a des précédents. De la même manière, un comédien pourrait parvenir à des effets intéressants en lisant des extraits de textes administratifs, des pages de l’annuaire téléphonique…

    Marcel Duchamp n’a pas reversé de droits d’auteurs au fabriquant de l’urinoir, ni Boltanski aux fabriquants des vêtements qu’il empile dans ses oeuvres.

  5. Guide pratique des licences Creative Commons à l’usage de Michel Houellebecq

    Entre adaptation, compilation et respect des restrictions de la licence Creative Commons (1), l’imbroglio juridique dans lequel nous emmène la reprise par Houellebecq de textes publiés sur Wikipédia présente l’occasion de clarifier les usages permis et ceux qui ne le sont pas, lorsqu’une œuvre seconde incorpore une autre oeuvre originaire placée sous licence Creative Commons.

    Disons-le d’emblée : les passages de Wikipédia repris par Houellebecq (2) sont suffisamment originaux pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. Houellebecq ne pourra pas se retrancher derrière une prétendue banalité des textes de Wikipédia, ni prétendre que les empreints ne sont pas réels.

    Le droit d’auteur trouve donc à s’appliquer, et avec lui ses exceptions. Pourtant, les reprises de Houellebecq ne peuvent être considérées comme étant des « courtes citations » au sens du Code de la propriété intellectuelle (3), d’une part, parce qu’il ne s’agit pas de citations, mais d’empreints non identifiés incorporés dans une œuvre seconde, et, d’autre part, parce que Houellebecq ne cite pas ses sources.

    Partant de là, le mot d’ordre est simple. Il faudra, pour Michel Houellebecq, apprendre à citer ses sources et, pour Florent Gallaire, internaute à l’origine de la diffusion du livre de Houellebecq sur internet sous licence CC-BY-SA, ne pas confondre adaptation et compilation.

    1. Michel Houellebecq : apprendre à citer ses sources

    Le fait que les textes de Wikipédia soit placés sous licence CC-BY-SA autorisait Houellebecq, comme n’importe qui, à adapter un extrait des textes de Wikipédia (article 3.b) et à diffuser ces empreints ainsi modifiés dans une œuvre seconde (article 3.d). C’est là tout le sens de la licence CC-BY-SA et le cœur du caractère libre de la plus grande encyclopédie du monde.

    Mais la licence CC-BY-SA comporte des restrictions. La personne qui utilise les textes de Wikipédia doit mentionner clairement qu’une oeuvre originaire a été utilisée pour créer une oeuvre seconde (article 3.b), placer les empreints sous la licence CC-BY-SA (article 4.b), rendre facilement accessible une copie de la licence CC-BY-SA (article 4.b.) et mentionner la source, le titre et l’URL de la page d’origine de Wikipédia (article 4.c).

    2. Florent Gallaire : ne pas confondre adaptation et compilation

    Florent Gallaire se trompe, à mon sens, quand il explique sur son blog qu’ « Une mise en conformité est donc réalisée en fournissant une version de La carte et le territoire, sous licence Creative Commons BY-SA, mentionnant les auteurs des emprunts à Wikipédia » (4). c’est fort de cette analyse juridique que Florent Gallaire a publié le livre de Houellebecq sous lience CC-BY-SA.

    C’était sans doute aller trop vite. Contrairement à d’autres licences libres, qui présentent un aspect viral très fort, la licence Creative Commons utilise la notion de « compilation ». La licence CC indique très clairement que la clause « Share Alike », emportant l’obligation de partager l’œuvre sous la licence d’origine, « s’applique à l’Œuvre telle qu’incorporée dans une Compilation, mais n’a pas pour effet d’imposer que la Compilation soit soumise aux conditions de la présente Licence » (article 4.a).

    Une œuvre originaire sous licence CC-BY-SA peut ainsi être intégrée dans une œuvre seconde, sans pour autant que cette seconde œuvre doive elle-même être placée sous licence CC dans sa totalité. C’est le sens, souvent mal compris, de la clause « Share Alike ».

    Or, dans le cas Houellebecq-Gallaire, les passages repris par Houellebecq sont, à mon sens, séparables de l’ensemble que constituait le livre La carte et le territoire. Il est possible, tant conceptuellement que matériellement, de distinguer les passages litigieux, de les reproduire ou de les représenter séparément.

    Florent Gallaire aurait donc pu publier sous licence CC-BY-SA les passages repris par Houellebecq, mais ne pouvait pas publier dans sa totalité le livre La carte et le territoire sous la fameuse licence libre.

    Etienne Deshoulières
    Avocat au barreau de Paris
    http://www.deshoulieres-avocat.com

    Notes :
    1. http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr
    2. http://www.slate.fr/story/26745/wikipedia-plagiat-michel-houellebecq-carte-territoire
    3. Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées »
    4. http://fgallaire.flext.net/houellebecq-creative-commons/

    1. « Or, dans le cas Houellebecq-Gallaire, les passages repris par Houellebecq sont, à mon sens, séparables de l’ensemble que constituait le livre La carte et le territoire. Il est possible, tant conceptuellement que matériellement, de distinguer les passages litigieux, de les reproduire ou de les représenter séparément. »

      Vous faites, à mon sens, un raccourci aussi peu justifié que défendable. Voici, en effet, comment CC définit une « compilation »:

      1.2. « Collection » means a collection of literary or artistic works, such as encyclopedias and anthologies (…) in which the Work is included in its entirety in unmodified form along with one or more other contributions, each constituting separate and independent works in themselves, which together are assembled into a collective whole.

      Ainsi que l’on peut voir, cette définition se décompose en plusieurs éléments. Je ne m’attarderai que sur ceux qui invalident votre raisonnement:

      – chaque oeuvre doit y être réproduite « in its entirety », ce qui n’est visiblement pas le cas ici – le contenu des articles de wikipedia est abrégé, voir moidifié;

      – les oeuvres en question doivent faire partie d’un « collective whole »; là encore, ce n’est pas le cas – à ce que je sache (corrigez-moi si je me trompe) le livre de michel houellebecq est un livre de michel houellebecq, et non un livre d’un collectif d’auteurs;

      – chacune de ces oeuvres est définie par l’article 1.2 comme une « contribution »; vous semblez en déduire que les passages du livre écrits par michel houellebecq lui-même sont une contribution de michel houellebecq à une oeuvre collective signée également par michel houellebecq.

      c’est ridicule.

      vraiment.

      votre bién dévoué.

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