Faut-il respecter le droit en bibliothèque ?

Cette semaine est paru le tome 56 du Bulletin des Bibliothèques de France, avec un dossier spécial intitulé « Le droit contre les bibliothèques ? » que je vous invite vivement à découvrir.

Depuis la parution en 2000 de l’ouvrage culte : « Le droit d’auteur et les bibliothèques » sous la direction d’Yves Alix, il n’y avait plus eu de grande synthèse consacrée au paramètre juridique dans l’activité des bibliothèques.

Ce numéro du BBF apporte des éclairages sur un grand nombre de problématiques (livres numériques, DRM, licences nationales, musique et vidéo, exception pédagogique, oeuvres épuisées, lobbying législatif, etc), en fournissant des informations à jour et des points de vue croisés.

La thématique générale du dossier « Le droit contre les bibliothèques ? » rend compte selon moi de l’état de tension dans lequel se trouvent les bibliothèques aujourd’hui, écartelées entre des pratiques et des technologies en évolution rapide et un cadre juridique de plus en plus restrictif et inadapté, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Sans apporter de réponse définitive, ce dossier présente l’intérêt d’exposer ce malaise au grand jour et de le mettre sur la place publique.

Dura lex, sed lex ! (Duralex. Par Ben Mc Leod. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

La parole n’a pas été donnée seulement à des experts ou à des bibliothécaires, mais aussi à des représentants d’institution comme la CNIL, ou  de société de gestion collective comme la Sofia ou le CFC.

L’article des représentants de la CNIL « Quelles obligations pour les bibliothèques qui souhaitent offrir un accès à internet ? » est particulièrement important dans la mesure où il confirme que la loi Hadopi est bien applicable aux bibliothèques et peut menacer l’accès à internet dans nos établissements. Des réactions ont déjà été publiées à ce sujet suite à la parution du BBF sur Numerama ou Actualitté.

Les contributions des directeurs du CFC et de la Sofia appelleraient aussi beaucoup de commentaires. Personnellement, elles m’ont fait bondir à cause de la rigidité d’esprit dont elles sont imprégnées et j’essaierai de trouver le temps d’y répondre dans S.I.Lex prochainement.

J’avais le (redoutable) privilège pour ma part de devoir répondre à la question « Faut-il respecter le droit en bibliothèque ? », proposée par Yves Desrichard, le rédacteur en chef du BBF, que je remercie chaleureusement.

En creusant ce sujet, je me suis rendu compte que la question, loin d’être provocatrice, permettait de pointer certains aspects fondamentaux de la condition juridique des bibliothèques.

Pour y répondre, j’ai essayé d’introduire le concept de « bibliocompatibilité juridique », qui permet de jeter un nouvel éclairage sur la situation de blocage légal que nous connaissons actuellement. J’essaierai de reprendre cette notion et d’approfondir cette analyse dans S.I.Lex prochainement.

Je poste l’introduction de mon article dans ce billet et je vous invite à aller lire dans le BBF la suite, ainsi que les autres articles du dossier (à commencer par le contrepoint décapant à mon article par Sophie Cormière : A Little Night Music !).

Faut-il respecter le droit en bibliothèque ?

Dura lex sed lex

Faut-il respecter le droit en bibliothèque : s’agit-il d’une véritable question ou d’une provocation ? On serait tenté de se le demander, car il est difficile de concevoir qu’un établissement comme une bibliothèque puisse simplement s’interroger sur le respect ou non de la loi. Qu’elles soient publiques ou universitaires, les bibliothèques constituent des services publics, soumis en tant que tels à un certain nombre d’obligations, à commencer par le respect du principe de légalité. Sanctionné par les juges, ce principe implique que les établissements inscrivent leurs actions dans le cadre du droit en vigueur, tout manquement étant susceptible d’entraîner l’annulation de leurs actes et l’engagement de leur responsabilité devant les tribunaux.

Que ce soit dans leurs rapports avec leurs usagers ou avec leurs agents, les bibliothèques sont soumises à différents corps de règles juridiques : comptabilité publique, droit des marchés publics, droit de la fonction publique, droit de la domanialité publique, droit du travail, droit de la responsabilité, droit de la propriété intellectuelle, etc. A priori, ces règles n’ont rien d’original et on voit mal quel privilège les bibliothèques pourraient invoquer pour se dispenser de les respecter. Dura lex sed lex, y compris pour les bibliothèques…

Une fois rappelés ces principes de base, doit-on s’arrêter là et mettre un point final à cet article ? Certainement pas ! Les bibliothèques constituent en effet un milieu juridiquement complexe et un point de tension entre des exigences contradictoires. Ces tensions, latentes dans le modèle même de la bibliothèque, ont été exacerbées par l’irruption du numérique dans les établissements, et par les pratiques liées à internet. De là est né un « malaise juridique » grandissant ressenti par les professionnels des bibliothèques, qui les handicape dans la mise en œuvre de leurs missions. Pour une large part, c’est dans le champ de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur que se cristallisent les tensions les plus fortes, et ce sont sur ces aspects que cet article s’attardera.

En matière de droit d’auteur, l’impression de se heurter à un véritable carcan de règles juridiques s’exprime parfois dans des prises de position révélatrices d’un rapport conflictuel au droit : « I have a dream : Quand une collectivité osera-t-elle franchir le pas et proposer des titres introuvables ailleurs dans un but non commercial (quitte à retirer ceux-ci si les ayants droit le réclament ?). C’est mon côté hippie : il y a de véritables trésors inaccessibles à mettre en valeur, à redécouvrir et à faire découvrir, quel dommage que ces P… de droits nous empêchent de faire notre boulot […]. »

Le rôle du bibliothécaire est sans doute de trouver des solutions pour mettre des contenus à disposition de ses usagers. Mais, pour remplir cette mission, la bibliothèque peut-elle aller jusqu’à se mettre hors-la-loi ? Peut-on concevoir qu’elle se fasse pirate… ou Robin des Bois ? Posée ainsi, la question est sans doute trop abrupte : ce qui importe, c’est de cerner le malaise à sa racine et de comprendre pourquoi le droit se retourne parfois contre les bibliothèques et leurs publics. Ce n’est qu’une fois ce diagnostic dressé que l’on pourra se demander si la transgression constitue la stratégie la plus adéquate pour faire évoluer cette situation.

LA SUITE DANS LE BBF


2 réflexions sur “Faut-il respecter le droit en bibliothèque ?

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