Droit d’auteur, Economie et Innovation (Avis aux InsomniHack!)

Avis aux noctambules, demain aura lieu la deuxième Nuit Sujet, organisée par OWNI et Radio Nova. Après « Dégage ! ou la mise en réseau du monde », c’est le mot d’ordre « Hack! » qui sera cette fois à l’honneur, six heures durant en live, pour questionner dans toutes ses dimensions la question de la piraterie et de la culture pirate.

J’aurai le très grand honneur de participer à une séance de brainstorming autour du thème « Piraterie et économie », au cours de laquelle on m’a demandé d’aborder la question des rapports entre le droit d’auteur et l’économie, sous l’angle de l’innovation. Le droit d’auteur, incitation ou frein à l’innovation : redoutable question, mais heureusement l’actualité en ce moment est riche en éléments pour alimenter le débat.

L’actualité, c’est par exemple l’Irlande, qui vient d’engager une réflexion en vue d’assouplir le droit d’auteur pour relancer son économie, notamment en introduisant un fair use (usage équitable) à l’américaine. Cette annonce intervient alors qu’en Angleterre, un rapport, remis par l’expert indépendant Ian Haergraves, pointe ouvertement le caractère obsolète de certains aspects de la propriété intellectuelle et propose une série de mesures vigoureuses pour l’adapter aux exigences de l’environnement numérique. Ce n’est pas la première fois qu’en Angleterre, ce point de vue s’exprime de manière officielle. Fin 2009, un rapport de l’Intellectual Property Office avait déjà proposé des réformes qui me paraissent aller dans le sens d’un Copyright 2.0. Et avant cela encore, le rapport Gowers en 2006 avait proposé d’étendre le champ des exceptions au droit d’auteur pour stimuler l’innovation.

Cette même idée, on la retrouve parfois exprimée au niveau de la Commission européenne, même si cette instance oscille hélas entre volonté de réforme et tentation répressive. En 2006, le Livre vert « Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance » passait en revue différents assouplissements possibles du droit d’auteur, en soulignant les points de blocage du système actuel (œuvres orphelines, complexité de la gestion collective, etc). Cette semaine encore, la Commission a proposé de nouvelles évolutions, mêlant répression du piratage et réformes innovantes pour stimuler la créativité et l’innovation.

Et il n’est pas jusqu’à l’OMPI où l’on ne puisse percevoir ce genre de tensions, avec un cycle de négociations tendues depuis près de deux ans autour de la question des exceptions et limitations au droit d’auteur, qui montre une évolution de l’institution, sous l’impulsion des pays du Sud.

Alors que le dogme du lien indéfectible entre le droit d’auteur et l’innovation se fissure, y compris au plus haut niveau, comment expliquer que le système peine autant à se réformer, autrement que dans le sens d’un surcroît de répression et d’atteintes aux libertés en ligne, ainsi que bientôt peut-être, à l’architecture même du réseau ?

Cela nous renverra sûrement à ce qui s’est passé lors du e-G8, où l’essentiel des débats a tourné autour du rapport entre droit d’auteur, économie et innovation. La keynote (magistrale) de Lawrence Lessig portait d’ailleurs précisément sur ce sujet « Innovation and its enemies« , au cours de laquelle il a soutenu que le droit d’auteur servait aujourd’hui essentiellement à protéger les « titulaires » (incumbents) – comprenez les firmes installées – de l’innovation trop forte des « outsiders » de la nouvelle économie numérique. Et de questionner l’instrumentalisation du droit d’auteur par les lobbies , et l’emprise qu’ils exercent sur le processus de décision démocratique…

J’espère que nous aurons le temps de prendre du recul et de parler  des mutations induites par l’économie de la connaissance, ou encore du capitalisme cognitif, et de la manière dont il devrait nous conduire à réviser notre conception de la propriété intellectuelle.

Ce serait l’occasion d’évoquer les alternatives, juridiques (licences libres, biens communs, domaine public) ou économiques (licence globale, contribution créative, crowdfunding, économie du don, etc), ainsi que le lien qui peut exister entre ces deux dimensions (peut-on construire des modèles économiques viables sur les licences libres, les biens communs, le domaine public ?).

Peut-être pourrons-nous aller plus loin et nous demander si des modèles économiques sont encore possibles en sortant complètement de la propriété intellectuelle, comme l’envisage un ouvrage récent (Un monde sans copyright… et sans monopole) ?

Rêve ? Utopie ? Pas si sûr quand on voit que le prix Nobel d’économie 2009 a pu être attribué à Elinor Ostrom pour ses travaux pour sur la gouvernance des biens communs, montrant que la gestion collective des biens non exclusifs pouvait dans certains cas constituer le système le plus efficace sur le plan économique.

C’est aussi ce que l’on constate lorsque l’on observe le fonctionnement des secteurs d’activité qui échappent à la protection par le Copyright, comme la gastronomie ou la haute couture. Contrairement aux idées reçues,  l’absence de propriété intellectuelle stimule fortement la créativité dans ces domaines, qui arrivent en outre à se réguler par d’autres systèmes de normes, tout en produisant de la valeur.

S’il reste un peu de temps – mais j’en doute – j’aimerais réussir à parler de ma théorie du droit d’auteur comme DRM mental, car c’est sur les esprits que la propriété intellectuelle exerce selon moi l’emprise la plus forte, en nous empêchant de concevoir la créativité et l’innovation autrement, et notamment de percevoir la dimension collective de la création et l’intelligence collective à l’oeuvre sur les réseaux.

Voilà pour les grandes lignes ! Si vous voyez d’autres angles d’attaque du sujet ou si vous pensez à des exemples percutants, n’hésitez pas à me le faire savoir dans les commentaires.

J’ajouterai à ce billet mes impressions à la suite de l’émission et de cette nuit de cogitations intenses !

Haaaaaack!!!


Une réflexion sur “Droit d’auteur, Economie et Innovation (Avis aux InsomniHack!)

  1. Bonjour Lionel,

    Une petite suggestion : essayer d’atténuer le dialogue de sourd entre les défenseurs et contempteurs du droit d’auteur. Pour les premiers je ne parle évidemment pas des firmes en situation de rentes, ni de la tentative de geler et étendre ce droit comme un dogme, mais de ceux qui sincèrement et non sans arguments font remarquer qu’il s’agit d’une conquête historique face à d’autres situations d’exploitations.

    Pour les seconds, il faut aussi reconnaître que si le combat contre les monopoles indus est juste, il accompagne parfois (souvent) l’établissement d’autres monopoles fondés sur le fair use. Hormis pour ces derniers, les modèles d’affaires sont encore loin d’être établis au delà des slogans et la théorie reste encore largement à construire malgré le prix Nobel d’E Ostrom.

    Aussi je crois qu’un peu plus d’humilité et de dialogue entre les deux camps serait bien utile. Mais j’ai peur que l’ambiance de cette nuit n’y soit pas très propice.

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