Tales from the ©rypt (Copyright Madness spécial Halloween)

Ce soir, c’est la nuit d’Halloween et l’occasion pour moi de vous raconter quelques histoires de droit d’auteur à glacer le sang !

La fête d’Halloween possède un fort potentiel de Copyright Madness. Si l’on en croit ce billet de Jonathan Bailey, auteur du blog américain Plagiarism Today, il serait même assez difficile d’organiser une fête pour Halloween sans commettre un ou deux actes de contrefaçon caractérisée… car si l’on y réfléchit bien, les costumes et les masques que l’on porte à cette occasion peuvent très bien être considérés comme des reproductions illicites.

Tout ira bien si vous vous contentez d’un déguisement très classique, type squelette, momie ou sorcière, mais les choses pourraient se compliquer si vous choisissez le costume d’un héros à la mode, comme Harry Potter, Batman ou Green Lantern.

 Croyez-vous que j’exagère ? Pas le moins du monde, puisque la firme détenant sur les droits sur la série Power Rangers vient d’attaquer en justice une boutique en ligne, vendant pour Halloween des costumes permettant de revêtir l’habit bariolé des célèbres justiciers japonais. Le procès promet d’être intéressant, car il permettra de savoir si des costumes en eux-mêmes peuvent être copyrightés, question passablement complexe (qui se pose aussi régulièrement à l’occasion de carnaval).

Happy Halloween ! Par Just Us 3. CC-BY. Source : Flickr

En effet, du point de vue du droit américain, les « useful articles » ne peuvent bénéficier de la protection du copyright, et l’on range traditionnellement dans cette catégorie les costumes (c’est également la raison pour laquelle les créations pourtant hautement originales de la mode, de la gastronomie ou du design ne peuvent être protégées par ce biais).

Néanmoins, les personnages d’une oeuvre de fiction couverte par le droit d’auteur peuvent en eux-mêmes être protégés par le droit d’auteur ou enregistrés comme des marques. Un certain Georges Lucas a pourtant connu récemment quelques déboires en justice à propos des produits dérivés et il sera intéressant de voir ce qui sortira de cette affaire Power Rangers. Des questions de droit à l’image peuvent également se poser, parfois de manière assez cocasse, comme dans cette affaire survenue à propos d’un costume d’Halloween… d’Albert Einstein !

Mais dans ce billet, je voudrais raconter quelques histoires assez incroyables de droit d’auteur impliquant des monstres comme des fantômes, des vampires ou des zombies.

Alors baissez la lumière, verrouillez votre porte et poursuivez votre lecture… si vous l’osez !

Ghost in the Book

A qui appartiennent les droits sur un texte dicté à un medium par un fantôme depuis l’au-delà ? C’est la question improbable qui s’est posée en 1918 lorsque les ayants droit de Mark Twain menaçèrent d’attaquer en justice une certaine Emilie Grant Hutchings, qui avait fait paraître un roman qu’elle prétendait avoir écrit sous la dictée de l’auteur, décédé sept ans auparavant !

Dans la préface de l’ouvrage intitulé Jap Herron (disponible sur Wikisource), elle explique comment elle est parvenue à entrer en communication avec l’esprit de Mark Twain au cours de séances de spiritisme, par l’entremise d’un Ouija (voir l’image ci-dessous). Le fantôme du grand écrivain, lettre après lettre, lui aurait transmis le texte qu’elle fit publier, suivant la volonté du défunt, chez un éditeur bien heureux de profiter de cette aubaine.

Ouija Board. Par Mijail0711. Domaine Public. Source : Wikimedia Commons

Mais la fille de Mark Twain, ainsi que son éditeur, ne l’entendirent pas de cette oreille et saisirent la justice américaine pour faire cesser cette publication. Le New York Times couvrit pendant plusieurs jours l’affaire, qui placait les juges dans une fâcheuse posture, obligés qu’ils étaient de se prononcer sur des questions fort peu juridiques, comme l’existence des fantômes ou la survie de l’âme après la mort !

Hélas le procès n’alla pas jusqu’à son terme, l’éditeur de Jap Herron décidant d’obtempérer en retirant de la circulation les exemplaires du roman déjà imprimés.

Le plus cocasse, je trouve, dans cette histoire, c’est que Mark Twain est connu pour s’être intéressé de son vivant au problème du copyright et à la lutte contre le « piratage » de ses écrits par des imprimeurs non autorisés. On lui doit également cette citation :

Only one thing is impossible for God: to find any sense in any copyright law on the planet.

Ajoutez à cela qu’en anglais, on appelle un nègre un Ghost Writer !

Quand Dracula vampirise Nosferatu

Une autre affaire incroyable de copyright concerne le film Nosferatu le vampire de Murnau et son combat avec les ayants droit de Bram Stoker, l’auteur de Dracula.

Au début des années 20, le producteur du film Albin Grau, souhaitait réaliser une adaptation du roman Dracula, mais il ne parvint pas à se faire céder les droits par la veuve de Bram Stoker. Néanmoins, le projet fut maintenu, en introduisant des différences notables par rapport au roman de manière à échapper aux accusations de contrefaçon. C’est ansi que le lieu de l’action fut déplacé de Londres en Allemagne, que Dracula devint un Comte Orlock à l’apparence monstrueuse pour se démarquer du dandy victorien de Stoker et que Murnau introduisit des détails absents du roman, comme le fait que la lumière du jour détruise les vampires ou que leur morsure transforme leurs victimes à leur tour en monstres sanguinaires.

Malgré ces précautions, le film fut attaqué en justice avec succès en Allemagne par la veuve de Stoker en 1925. La condamnation entraina la faillite de Prana Films, la société d’Albin Grau et la destruction de la plupart des copies et négatifs du film, ordonnée par les juges.

L’histoire aurait pu s’arrêter là si une bobine n’avait pas miraculeusement survécu et été emportée aux Etats-Unis, où à cause d’une erreur d’enregistrement, le roman Dracula était déjà tombé dans le domaine public. La veuve de Stoker ne pouvant empêcher la diffusion dans ce pays, le film Nosferatu y connut le succès, jusqu’à ce que dans les années 60, il put revenir en Europe, lorsque les droit sur Dracula s’éteinrent.

Ce qui est intéressant dans cette histoire comme le relève le site Techdirt, c’est qu’un certain nombre des traits que nous associons aujourd’hui naturellement aux vampires découlent de la nécessité pour Murnau d’éviter une condamnation pour violation du droit d’auteur…

Le plus beau, c’est que Bram Stoker a lui-même été soupçonné en son temps d’avoir plagié le roman de Marie Nizet, Capitaine Vampire ! Ce péché originel est peut-être la raison pour laquelle la malédiction du copyright semble désormais s’acharner tout particulièrement sur les histoires de vampires. Les héritiers de Bela Lugosi ont par exemple intenté un procès surréaliste à Universal Pictures pour faire valoir leurs droits sur l’image de leur père. Le film Underworld a été  accusé de plagier le jeu de rôle Vampire : The Masquerade et Stéphanie Meyer, l’auteur du best seller Twillight, a été poursuivie par une de ses anciennes colocataires lui reprochant de lui avoir volé l’idée de la série aux cours de discussions de chambrée. Quant à la série True Blood d’HBO, elle fut l’objet d’une action pour violation du droit des marques de la part d’un marchand de boissons !

Right of the Living Dead

Si vous allez sur Internet Archive, vous pourrez trouver le grand classique du film de zombies, Night of the Living Dead de Georges Romero, et le visionner en toute légalité bien que celui-ci ne date que de 1968.

La raison ? C’est que La Nuit des morts-vivants est tombée dans le domaine public juste après sa création, suite à une incroyable erreur commise par le distributeur du film. En effet, à cette époque aux Etats-Unis, une oeuvre ne pouvait être protégée par le droit d’auteur que si une Copyright Notice était incluse dans les crédits pour indiquer l’identité des détenteurs des droits de propriété intellectuelle. Or juste avant sa sortie en salle, le titre original du film – Night of the Flesh Eatersfut changé en Night of the Living Dead par le distributeur, qui oublia d’ajouter la mention de copyright sur les nouvelles copies.

Le résultat, c’est que Romero ne toucha presque rien pour ce film, malgré plus de 30 millions de dollars de recettes générées au box office ! Néanmoins, l’entrée anticipée du film dans le domaine public a aussi eu des effets bénéfiques, qui expliquent peut-être en partie le succès des films de zombies.

En effet, comme l’explique Jonathan Bailey dans ce billet, Night of The Living Dead était le résultat d’une collaboration entre Georges Romero et un autre auteur du nom de John Russo, qui co-signa le scénario. Après le premier film, un désaccord artistique survint entre les deux hommes, qui décidèrent de créer chacun de leur côté leurs propres suites. La Nuit des morts-vivants étant dans le domaine public, aucun des deux ne pouvait empêcher l’autre de réutiliser le concept du zombie tel qu’il apparaît dans ce film. Les deux auteurs décidèrent donc de se partager l’héritage du premier succès : Russo réaliserait une séries de films comportant « Living Dead » dans le titre et « of The Dead » pour Romero.

C’est ainsi que Romero tourna plusieurs séquelles (Dawn of the Dead, Day of the Dead, Land of the Dead, Diary of the Dead, Survival of the Dead) dans lesquelles il développa la dimension politique déjà présente dans le premier film. Russo de son côté mit plutôt en avant dans sa production une vision humoristique des zombies (Return of the Living Dead, Return of the Living Dead Part II, Return of the Living Dead 3, Return of the Living Dead: Necropolis, Return of the Living Dead: Rave from the Grave).

En entrant immédiatement dans le domaine public, la figure du zombie telle que créée par Romero a pu faire l’objet de multiples réutilisations, au cinéma, en littérature ou dans les jeux vidéo. Elle a sans doute ainsi pu s’imposer plus rapidement dans la culture populaire, ce qui illustre bien un thème qui m’est cher : la fécondité du domaine public.

***

Si ces histoires vous ont davantage intéressé qu’effrayé, n’hésitez pas à visiter le blog Plagiarism Today de Jonathan Bailey, qui a publié une série de billets remarquables cette semaine à l’occasion d’Halloween.  Outre les vampires et les zombies, il explique dans le dernier billet comment Universal Pictures est parvenu à s’approprier le monstre de Frankenstein de Mary Shelley, pourtant tombé depuis longtemps dans le domaine public.

En attendant, je vous souhaite un effroyable Halloween, mais méfiez-vous du spectre du copyright…


6 réflexions sur “Tales from the ©rypt (Copyright Madness spécial Halloween)

  1. « la firme détenant sur les droits sur la série Power Rangers vient d’attaquer en justice une boutique en ligne, vendant pour Halloween des costumes permettant de revêtir l’habit bariolé des célèbres justiciers japonais »

    Hihi, ne confondons pas. Power Rangers est un remake américain de la série japonaise Super Sentai, en achetant le droit d’utiliser les images et les costumes (c’est-à-dire que Power rangers est un montage d’images tournées par les japonais et par les américains).

    Cela complique encore l’affaire, parce que la firme détient en fait les droit d’importation, ou quelque chose comme ça. C’est-à-dire, je me demande si les avocats de la défense pourraient plaider qu’il s’agissait d’un costume de Zyuranger et non de Power Rangers, et donc que seule l’entreprise japonaise peut les poursuivre en justice.

    Quelle hypocrisie alors que dans la série elle-même, les Rangers montraient qu’ils aimaient beaucoup voir les enfants se déguiser en Power Rangers pour Halloween !

  2. Pour rajouter à la malédiction du copyright sur les vampires, on peut citer Buffy, où le créateur Joss Whedon de la série (et du spin off Angel, et des saisons en comics) ne peut empêcher la sortie d’un film « adapté » de Buffy car, avant la série, Buffy était un film et qu’il n’avait pas à ce moment tous les droits dessus, étant « simple » réalisateur dans les credit line. http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18599569.html

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