Où il est démontré qu’Hadopi peut s’en prendre aux personnes morales (et donc aux bibliothèques…)

Hier soir, nous apprenions, un brin consternés, que la Hadopi avait averti des policiers, accusés d’avoir téléchargé des oeuvres protégées depuis leurs postes informatiques, à Mèze dans l’Héraut.

Si l’on dépasse le côté cocasse de ce nouvel épisode de la saga Hadopi, l’affaire a son importance, car elle confirme certaines hypothèses que j’ai déjà formulées dans S.I.Lex (ici ou ) concernant l’impact possible de la riposte graduée sur les personnes morales, au-delà des simples particuliers.

Ce qui s’est produit avec ce poste de police pourrait en effet tout à fait se reproduire avec d’autres types d’établissements, et en particulier avec des bibliothèques, aussi bien pour des faits commis par des agents que par des usagers, utilisant les postes informatiques mis à leur disposition pour aller sur Internet.

Il est fondamental que les bibliothèques puissent s’ouvrir sur Intenet dans des conditions satisfaisantes. Or Hadopi constitue une véritable épée de Damoclès pour tous les lieux d’accès publics à Internet (Books Fisheye. Par phatcontroller. CC-BY-NC. Source : Flickr)

Que s’est-il passé exactement dans cette affaire de policiers-pirates (l’enchaînement  des faits a son importance) ? Trident Media Guard, la société chargée par les ayant droits de collecter les adresses IP suspectées d’enfreindre le droit d’auteur, a repéré le téléchargement de deux fichiers depuis un ordinateur du poste de police. L’IP en question a été transmise à la Hadopi, qui a donné suite en envoyant un avertissement à la mairie de Mèze.

C’est la mairie dans un tel cas, et non les policiers individuellement, qui est avertie, car c’est elle qui est responsable de la connexion internet du poste de police et d »une « négligence caractérisée » dans la sécurisation de cette connexion. Le poste de police n’a pas en lui-même de personnalité morale, mais relève de la commune, qui en tant que collectivité territoriale, possède la personnalité juridique et peut voir sa responsabilité engagée.

La réaction de l’équipe municipale face à l’avertissement de la Hadopi est intéressante : « probablement soucieux de ne pas recevoir de nouvel avertissement« , le maire a chargé son directeur général des services de conduire une enquête administrative interne, qui, indique Numerama : « conduira probablement à la mise en place d’une liste noire afin de bloquer l’accès à certains sites Internet, probablement, au blocage de certains ports de communication« .

Comme je l’ai dit, ces faits confirment certaines hypothèses que j’avais avancées dans des précédents billets. Oui (mais on en était déjà certain), le dispositif de la riposte graduée est applicable aussi bien à des particuliers qu’à des personnes morales. Ce qui était plus douteux, c’était de savoir si TMG collectait des IP relevant de telles personnes morales et si la Hadopi choisissait de donner suite par un avertissement dans ces hypothèses. Un cas impliquant une EURL avait déjà été signalé, qui permettait déjà de répondre par l’affirmative, mais cette affaire touchant une commune me semble encore plus nette.

Le cas du poste de police donne aussi des indications importantes sur les conséquences d’un avertissement dans le cadre d’une collectivité locale, qui me paraissent tout à fait transposables à une bibliothèque.

Juridiquement, il est assez peu probable que survienne une coupure d’accès internet, suite à l’avertissement d’une collectivité. Ce n’est jamais arrivé encore pour de simples particuliers (même s’il est probable que les premiers procès aient lieu en 2012). Pour une personne morale, une disposition particulière de la loi Hadopi permettrait également d’éviter d’aller jusqu’à la coupure, en tenant compte de la situation :

Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction, ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique (Article L335-7-2 CPI).

Sans aller jusqu’à prononcer la coupure, le juge pourrait enjoindre à une collectivité mise en cause de mettre en place des moyens de sécurisation appropriés, de manière à éviter que l’infraction ne se reproduise. J’avais eu l’occasion, il y a un an, dans un billet intitulé « Hadopi = Big Browser en bibliothèque » de faire part de mes plus vives inquiétudes concernant ces moyens de sécurisation, notamment dans le cadre d’un accès public à Internet.

Mais l’affaire du poste de police de Mèze montre très bien que le risque principal ne vient pas des logiciels de sécurisation labellisés, mais de la réaction des collectivités face à un avertissement. On voit bien ici que la mairie va agir d’elle-même pour mettre en place des listes noires qui empêcheront la consultation de certains sites à leurs agents.

Sur le principe, une telle réaction peut paraître au premier abord compréhensible, mais les personnes qui travaillent dans des administrations savent très bien à quel point ces mesures internes de filtrage du web peuvent s’avérer limitatives et empêcher l’accès à un nombre considérable de sites utiles, au-delà du peer-to-peer. La liste noire mise en place à Mèze permettra-t-elle par exemple d’aller sur YouTube ou sur Facebook ? Je serais curieux de le savoir…

Et c’est la principale menace que je perçois dans cette application de la riposte graduée aux collectivités, en ce qui concerne les bibliothèques : que pour se garantir des risques d’un avertissement de la Hadopi, les tutelles ne décident d’instaurer de manière préventive des moyens de filtrage qui donneront à nos usagers accès à un internet de seconde zone.

Or nous savons qu’une part importante de l’avenir des bibliothèques se joue justement sur la possibilité d’offrir un accès à internet dans de bonnes conditions à nos usagers (voir la problématique du troisième lieu). Déjà, comme le relève ce billet que j’ai trouvé saisissant, le moindre MacDonald fournit à ses clients des accès wifi dans des conditions bien plus satisfaisantes que la plupart des bibliothèques. Qu’en sera-t-il lorsque les établissements se seront eux-mêmes « hadopisés » ?

Et pour agir sur le terrain de la médiation numérique, il importe également que les bibliothécaires puissent avoir accès à Internet dans de bonnes conditions, sans être restreint à ce que Proxinator juge suffisant !

J’aurais aimé qu’il en soit autrement, mais cette affaire du poste de police confirme bien les craintes que je nourrissais pour les bibliothèques. Et cette confirmation intervient alors que le mois dernier, suite à un échange quelque peu vigoureux sur Twitter, Eric Walter, le secrétaire général de la Hadopi, avait mis en cause les analyses que j’avais produites :

En réponse à mes demandes de précision, on m’a simplement balancé à la figure le rapport annuel de la Hadopi de 140 pages, dans lequel je n’ai rien trouvé pour me rassurer, sinon que la question des moyens de sécurisation labellisés ne semble guère avoir avancé. Mais là n’est pas, selon moi, le risque principal comme le démontre très bien l’affaire du poste de police.

J’attends à présent que l’on vienne me démontrer que la riposte graduée ne menace pas l’accès public à Internet en France !

PS : Je m’attache ici au cas des bibliothèques, mais le raisonnement vaut pour toutes les formes d’accès public à Internet : universités, écoles, hôpitaux, jardins publics, aéroports, cybercafés, hôtels…

PPS : si vous connaissez d’autres cas où une personne morale a été avertie par Hadopi, merci de le signaler en commentaire. Cela me serait très utile !


13 réflexions sur “Où il est démontré qu’Hadopi peut s’en prendre aux personnes morales (et donc aux bibliothèques…)

  1. Ce qui est fou ça n’est pas qu’HADOPI puisse s’en prendre à une personne morale mais plutôt à une personne morale de droit public type commune…..une AAI qui sanctionne une personne publique ça fait un peu bizarre quand même….conceptuellement et juridiquement ça coince un peu.

  2. Ce qui serait formidable, c’est que la Hadopi prive tous les postes de police (et de gendarmerie, soyons généreux) de moyens d’enquête. En effet, en coupant l’accès à certains sites, les autorités policières n’auraient plus de moyens de vérifier d’éventuelles infractions ayant lieu sur ceux-ci. Et par conséquent, ces sites deviendraient de fait des espaces de non droit. Il en va de même pour certains ports. D’ailleurs, les ports n’étant que des conventions, rien n’empêche, techniquement, d’en utiliser d’autres.

    La Hadopi (notamment) empêche le développement d’Internet en France en dehors des FAI capables de lier un et un seul abonné à une adresse IP à une date et heure précises. Cela empêche quiconque de partager sa connexion Internet avec des tiers. Il y a tant d’ondes Wi-Fi qui nous traversent de part en part et qui ne servent à rien… qu’est-ce qui, sinon l’aspect juridique, nous empêche de développer un logiciel conçu pour exploiter ce réseau existant sans fil global, tout à fait exploitable sans interruption en ville, sans avoir à déployer de nouvelles antennes à tout va ?

    Enfin, condamnerait-on une cabine téléphonique publique parce qu’elle a servi à lancer une fausse alerte à la bombe ?

    1. @Martin1975 ah, content de trouver enfin quelqu un qui pense comme moi: si on ne faisait pas peur aux particuliers pour qu ils autosenssurent leur wifi (de la meme manière qu on fait peur à la mairie dans l’article et qu elle s’auto-censure) on pourrait voir des réseaux wifi ouverts et diminuer par 2,3,4 (!) la quantite d’ondes qui nous traverse. Ca serait mieux pour l environement (- d ondes, – d electricite), mieux pour l esprit (notion de partage), mieux techniquement…

      Mais non, c est chacun sa petite borne wifi cryptee :(

      1. Notez qu’encore une fois, le « chacun sa petite borne wifi cryptée » profite à deux « entités » : les industries qui commercialisent les accès internet (FAI, OCE), d’une part, et les ploutocrates sécuritaires qui vulent fliquer les gens de manière panoptique (UMP, gouvernements).

        Le marketing et le sécuritaire, les deux fléaux qui essaient doucement d’étrangler le web. Rien de nouveau sous le soleil.

  3. Bonjour

    Si je suis sur ton blog, et que je le lis régulièrement, si j’ai suivi des formations sur le sujet, c’est bien parce qu’une personne morale a été inquiétée.
    Soit un EPN associatif, qui a fermé suite à un fichier téléchargé hors des horaires d’ouverture et hors présence des employés (!, d’après le témoignage direct d’un employé du site)

    C’était en 2007-2008. Soit pré-Hadopi il me semble, mais avec les mêmes moyens.

    Le président bénévole a préféré se retirer (à raison vu les risques), ce qui a envoyé cinq personnes au chômage.

    Triste histoire qui démontre ceci : la répression va bien plus loin que prévue par les textes.

    Pour le côté liste noire, je suis dubitatif sur son efficacité réelle. Trop de sites, trop de passages transverses pour être correcte… C’est comme les Anti-virus, ils n’arrêtent pas les nouveaux virus avant un délai de réaction significatif.

    Alors quid d’une copie avant mise à jour des listes ?
    Qui sera responsable dans ce cas ?

    L’autre solution, c’est d’utiliser un réseau de proxy / VPN.
    Ça n’a rien d’illégal, et ça permet d’avoir la paix et la tranquillité de l’esprit. Tout en gardant l’intégralité d’Internet.

    Il suffit de comparer les devis des deux solutions pour s’apercevoir de la meilleure rentabilité !

    L’Hadopi est en train de nous conduire à cette solution. De plus en plus évidente.

    A force de faire peur, on va inciter les gens à passer à des solutions qui rendent possible un piratage sans limite.

    Ceci, alors même que les preuves scientifiques s’accumulent pour montrer que le piratage n’est en rien responsable de la chute des ventes/rentes, au contraire. Celui qui consomme plus de culture, consomme plus partout.

    Mais comme il est dit dans X-files, la vérité est ailleurs.

    Par exemple, quand je regarde la série Noob (http://noob-tv.com/noob_17.html) : 18 épisodes de 12 minutes, ça fait l’équivalent d’un film vendu en moins pour l’industrie culturelle.

    Quand j’écoute de la musique sur Youtube ou sur d’autres radios Web, ça fait autant en moins pour l’industrie culturelle.
    Quand je lis, quand je joue, quand je consomme Web, ça fait encore moins pour l’industrie culturelle.

    Surtout, ça fait autant en moins pour les chaînes de vente traditionnelles. Les seules prises en compte.

    Mais on refuse de dire aux gens que l’argent s’est déplacé ailleurs !
    Qu’il est en train de se répartir différemment.

    L’offre augmente, les situations de rentes et de monopole s’effritent, ce qui est tout à fait normal. On est en plein dans l’effet longue traîne.

    Et cet effet n’en est qu’à ses débuts.
    Vu ce qui va tomber dans le domaine public dans quelques années, voire les prochaines décennies, ce n’est rien de le dire.

    Aussi, museler les bibliothèques ou autres par des listes noires / blanches me paraît tout à fait opportun de la part de l’Hadopi ou de ses clients. C’est une manière d’éliminer la concurrence et de cloisonner les bibliothèques dans les chaînes de vente traditionnelles, voire traditionnelles aménagées Web !

    Ça rejoint fortement l’idée de licéité de la source, non ?

    Eliminer tout ce dont on n’est pas certain, tout ce qui n’a pas pignon sur rue, soit tout ce qui n’est pas réseau de vente traditionnel.
    On est dans la même optique.

    Mais rassure-moi sur licéité Calimaq.
    En droit français, la charge de la preuve incombe toujours au demandeur. C’est donc à lui de prouver que la source de la copie est illicite, c’est ça ?
    Je me trompe ?

    Bien cordialement
    B. Majour

    PS. Passe de bonnes fêtes :-)

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