Carnaval, fête des fous… du copyright !

Fatigué des SOPA, PIPA, ACTA, Hadopi et autres calamités publiques, tu auras peut-être eu envie cette semaine, cher lecteur, de te laisser emporter par la griserie du Carnaval pour fêter Mardi gras et aller te glisser dans les habits de tes rêves..

Le combat de Carnaval et de Carêmes. Pierre Brueghel L’ancien. Domaine public. Source Wikimedia Commons

Pauvre de toi ! Le Carnaval n’échappe en effet pas à la question du copyright et tu vas voir que le statut juridique du déguisement constitue même un sujet particulièrement intéressant. Il est d’ailleurs fort possible qu’en te déguisant, toi ou ta charmante progéniture, vous ayez sans le savoir enfreint les règles du droit d’auteur ou du droit des marques…

Alors, tombez vite les masques et voyons un peu de qu’il en est de ©arnaval !

Tu auras peut-être eu le bon goût de te déguiser en Power Rangers. L’idée était plaisante, mais périlleuse, car un procès est précisément en cours aux Etats-Unis, dans lequel les titulaires des droits sur la franchise Power Rangers ont attaqué le site MyPartyShirt.com qui proposait ce type d’articles à la vente, pour violation du droit d’auteur et du droit des marques.

L’issue de ce procès promet d’être intéressante, en raison d’une particularité du droit américain, qui veut que les articles « utilitaires » (useful articles) ne peuvent théoriquement être protégés par le copyright. Fixée par la jurisprudence, cette règle s’est déjà appliquée par exemple à des lampes, des lavabos, des écrans d’ordinateurs, mais aussi aux vêtements, catégorie d’objets dans laquelle ont peut ranger les déguisements. Encore faut-il opérer des distinctions subtiles :

Le modèle qui a servi à fabriquer une jupe ou un manteau peut être copyrighté, car il possède une existence propre par rapport à la fonction utilitaire du vêtement. Cependant, on ne peut revendiquer un copyright sur la coupe d’un habit, ou sur la forme en elle-même d’une jupe ou d’un manteau, car ces articles sont utilitaires. Cela vaut également pour les déguisements de fantaisie ; aucune protection en peut être accordée sur un déguisement dans son ensemble.

Au final, l’application de cette règle aux déguisements n’est qu’une conséquence du fait que la mode en général n’est pas soumise au copyright, bien qu’il s’agisse d’un secteur hautement créatif et assez éloigné des considérations utilitaires.

A première vue, pas de risque donc à revêtir un costume de Power Rangers (si ce n’est le caractère vaguement ridicule de la chose…). Mais, vous vous en doutez, les choses ne sont pas aussi simples, car les juges ont ajouté au fil du temps des fioritures qui fragilisent la liberté de se grimer… et une décision récente concernant Batman pourrait bien changer la donne !

Un T-Rex qui aime le risque… (Dino Bat. Par Anirudh Koul. CC-By-SA. Source : Flickr)

Plusieurs décisions de justice américaines (ici ou ) ont en effet considéré qu’un costume ne devait pas être considéré comme un tout, mais que certains éléments décoratifs pouvaient être « détachés » de l’ensemble, dans la mesure où ils ne possédaient pas une dimension strictement utilitaires.

Cette théorie de la « détachabilité » vient d’être confirmée dans une décision impliquant non par directement un costume, mais la… Batmobile ! En effet, DC Comics cherchait noise à un garagiste qui vendait des voitures ayant la forme du bolide du célèbre justicier nocturne. Le juge saisi de l’affaire a considéré que bien qu’étant un objet utilitaire, cette voiture comportait des éléments décoratifs caractéristiques qui pouvaient être protégés par le copyright. D’aucuns se sont appuyés sur ce précédent pour en déduire que le costume de Batman pourrait lui aussi être protégé en suivant ce même raisonnement. En effet, indépendamment de sa fonction utilitaire, il comporte des éléments comme le signe sur la poitrine, la forme des gants, celle de la cagoule ou encore la cape en forme d’aile de chauve-souris qui sont détachables du reste du vêtement et pourraient donc être protégés.

[Mise à jour du 12/02/2013 : le verdict a été rendu dans l’affaire de la Batmobile. Le juge a estimé qu’elle était bien protégée, notamment parce qu’elle constituait un personnage à part entière (!) et parce que les éléments de décoration situés sur les roues, le capot, les ailerons, etc étaient bien « détachables » de la fonction utilitaire de protection du véhicule.  Le garagiste qui avait reconstruit et vendu des Batmobiles a bien été condamné pour contrefaçon].

Pour savoir ce qu’il en est exactement, il faudra attendre le verdict dans le procès Power Rangers ! Suspens… [Mise à jour du 12/02/2013 : cette affaire a été réglé par un arrangement entre les parties sans que le juge ne rende un verdict. Le vendeur de costumes a préféré reverser les profits qu’il avait réalisé sur la vente des tenues de Power Rangers. Mais les analystes américains restent dubitatifs quant à la possibilité de protéger par le copyright de tels déguisements].

De l’autre côté de l’Atlantique, c’est récemment en Angleterre qu’une décision est venue apporter un grand bol d’air aux amateurs de déguisements. Georges Lucas en effet a perdu un procès retentissant contre le créateur original des costumes de Stormtroopers, qui vendait sur son site des reproductions des célèbres armures blanches. Après un combat de plusieurs années en justice, la Cour Suprême britannique a fini par trancher en défaveur de Georges Lucas, en considérant que les costumes de Stormtroopers ne pouvaient être assimilés à des sculptures. Les juges ont en effet estimé, un peu à l’image de ce qui existe aux Etats-Unis, qu’en tant qu’accessoires de film, les tenues des soldats de l’Empire avaient essentiellement une fonction utilitaire qui primait sur leur dimension esthétique.

Qu’on se le tienne pour dit, on peut se régaler dans les rues d’Angleterre à défiler grimé en Stormtrooper puisque ces costumes y sont à présent dans le domaine public !

Néanmoins, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, le déguisement peut rester une pratique à risque, notamment lorsqu’on se livre au commerce de panoplies. Comme l’explique cette analyse, le droit des marques peut en effet s’appliquer à des personnages et un fabricant qui vendrait par exemple des costumes d’Indiana Jones pourrait le faire, à la condition de se garder d’employer le nom du personnage pour désigner son produit. La question n’est pas seulement théorique, puisqu’elle pose visiblement chaque année aux Etats-Unis des problèmes épineux lors de l’organisation de soirées payantes pour Halloween !

L’ingéniosité de certains est également sans borne pour s’en prendre aux déguisements, notamment ceux qui s’inspirent de l’apparence de personnes réelles. L’Université hébraïque de Jérusalem, qui gère des droits sur des fonds photo d’Albert Einstein a ainsi essayé d’empêcher une firme américaine de commercialiser un déguisement à l’image de l’illustre savant et cette dernière a même été obligée de lui faire un procès pour l’emporter. Une bataille en justice dantesque a également opposé pendant plus de 13 ans les descendants de Bela Lugosi à Universal Picture, car la progéniture de l’acteur estimait qu’elle possédait un droit sur son image lui permettant d’empêcher la commercialisation de costumes de Dracula sans toucher de royalties !

Pour en revenir au Carnaval, sans doute faut-il également se méfier des photographies que l’on peut prendre à cette occasion. L’année dernière, les Indians, une des bandes qui défilent lors du Carnaval de la Nouvelle-Orléans en Louisiane en arborant des costumes de leurs confection, avait menacé de procès des photographes qui prenaient et revendaient des clichés sans leur autorisation. Il n’est cependant pas certain qu’ils puissent l’emporter devant les juges, en raison de la doctrine des « useful articles » évoquée plus haut.

Parmi les pratiques liées au déguisement, il en est une de très célèbre, qui pourtant ne semble pas soulever de problèmes en justice : c’est celle du cosplay, venue du Japon. Consistant à se déguiser en personnage de manga ou de jeux vidéo, cette pratique amateur pourrait tout à fait soulever des problèmes de contrefaçon ou de droit des marques, mais elle ne provoque visiblement que peu de remous en justice. On trouve bien quelques fabricants d’articles de cosplay qui attaquent un concurrent pour contrefaçon, mais je n’ai pas vu de titulaires de droits sur un manga ou un jeu vidéo qui s’en soit pris à des fans pratiquants le cosplay, certainement parce qu’ils considèrent ces pratiques comme un hommage. Néanmoins les choses pourraient peut-être hélas changer au Pays du soleil levant, car en fin d’année dernière, des voix se sont élevées pour avertir que la signature de l’accord  de partenariat trans-pacifique (TTP), sorte d’ACTA asiatique, pourrait avoir pour effet de menacer la pratique du cosplay en durcissant abusivement les sanctions pour contrefaçon.

Cosplay – AWA14 – Shyguy, Mario and Princess Peach. Par Mikemol. CC-BY. Source : Flickr

Toujours est-il cher lecteur que comme tu le voies, le copyright va toujours se nicher où l’on ne l’attend pas et que tu réfléchiras à deux fois à présent avant de te glisser dans la peau de ton super-héros préféré !

Néanmoins, si tu veux que les choses changent et que l’étau juridique se desserre un peu sur ta vie, je te conseille vivement d’oublier tout ce que tu viens de  lire dans cet article et de te déguiser à l’image du jeune homme ci-dessous pour aller manifester dans ta ville contre le traité ACTA samedi prochain. C’est l’une des dernières occasions pour arrêter ce Leviathan du Copyright avant son examen prochain par le Parlement européen.

Tu choisiras aussi peut-être de porter ce masque de Guy Fawkes, cher aux Anonymous.

Guy Fawkes. Par Joachim S. Müller. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

Mais attention, en achetant cet article, sache que tu verseras ton obole à Time Warner, qui  en possède les droits via le film V comme Vendetta…

Pas si simple d’échapper à la malédiction du copyright !


11 réflexions sur “Carnaval, fête des fous… du copyright !

  1. Autre question légale lorsqu’on parle de déguisement : a t’on le droit de défiler masqué ? Il me semble que justement une loi avait été passée interdisant les masques ou éléments masquant le visage, notamment dans les manifestations.
    Pas du copyright, certes, mais …

  2. bonjour

    les photos que vous publiez… dès lors qu’elles représentent Mario ou le masque de Fawkes ne sont-elles pas en principe réutilisables qu’après autorisation des titulaires des droits de ce qui est représenté et pas uniquement grâce aux licences CC des photographes (d’ailleurs ont-ils le droit de mettre sous CC des photos qui représentent des objets sous droit ?)
    bel article en tout cas !

    1. Bonjour,

      En effet, c’est une très bonne remarque. En droit américain, cela pourrait passer comme une forme de fair use. Dans le cadre très strict du droit français, c’est sans doute incorrect juridiquement, un peu pour la même raison qui fait que la liberté de panorama n’existe pas.

      Les photographes eux-mêmes ne peuvent sans doute pas valablement mettre ces photos sous CC, car ils ne peuvent pas transmettre plus de droits qu’ils n’en ont eux-mêmes.

      D’un strict point de vue juridique, vous avez raison, sauf cependant si l’on considère effectivement, comme je l’explique dans cet article, que les costumes et déguisements ne peuvent être des oeuvres de l’esprit, à raison de leur nature « utilitaire ». S’il n’y a pas d’oeuvre de l’esprit, on peut les photographier sans violer de droits.

      Le problème, c’est que cette conception est propre au droit américain (et anglais depuis l’affaire du casque de Stormtrooper), mais je pense qu’elle ne vaudrait pas en droit français, car le code dit bien que les oeuvres originales sont protégées quelle que soit leur « destination » (c’est-à-dire leur fonction).

      En tous cas, merci pour ce commentaire.

      Calimaq

  3. une question me tarraude …
    en mettant en ligne sans avoir lui aussi versé son obole à Time Warner ™ , une photo d’un objet dérivé le propriétaire de ces lieux ne se rend il pas coupable lui aussi du délit de contrefaçon ?
    Qui a parlé de boite de pandore ?

  4. Bonjour,

    Oui, pour les raisons que j’évoque dans la réponse à un commentaire similaire au votre un peu plus haut, vous avez sans doute raison.

    Néanmoins, il faudrait être certain que le masque de Guy Fawkes constitue bien une oeuvre de l’esprit, protégeable par le droit d’auteur. Comme je le montre dans ce billet, c’est loin d’être certain en droit américain ou en droit anglais, qui pourraient bien le considérer comme un objet « utilitaire ».

    Par contre en droit français, je pense que ce masque accéderait facilement à la dignité de l’oeuvre de l’esprit, car notre Code n’accorde pas d’importance à la « destination » de l’oeuvre.

    Cordialement,

    Calimaq

  5. La Manche fera-t-elle un procès à l’Atlantique (qui dans cet article sépare indûment l’Angleterre de la France) ?

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