Copy Party : prendre au mot la loi sur la copie privée et interroger les pratiques en bibliothèque

Officiellement annoncée sur le portail Nantilus de l’Université de Nantes, la première Copy Party, en exclusivité mondiale, va donc bien avoir lieu, mardi 7 mars prochain, à la Bibliothèque Universitaire de la Roche Sur Yon :

Sur le site dédié à cette opération, Olivier Ertzscheid, sans qui la Copy Party n’aurait pu avoir lieu, nous explique tout de son histoire, de ses modalités et vous donne des informations pratiques si vous souhaitez vous aussi participer à l’événement.

Silvère Mercier publie ce jour de son côté un billet irrésistible, avec un Storify consacré aux outils de la Copy Party qu’il vous faudra apporter si vous souhaitez profiter pleinement des nouvelles facultés que la loi sur la copie privée confère aux usagers des bibliothèques.

Car la Copy Party, c’est avant tout une manière de prendre cette loi au mot, qui a introduit le principe que les copies privées, pour être légales, devaient à présent être effectuées à partir d’une source licite. Bien que cette modification restreigne par ailleurs le champ de cette exception au droit d’auteur et va rendre à l’avenir son application beaucoup plus compliquée, j’avais montré dans un billet en fin d’année dernière que la notion de « source licite » pouvait avoir des effets inattendus en ce qui concerne les bibliothèques.

Pour rester dans le thème, l'accueil de la BU lors de la Copy Party sera assuré par des clones bibliothécaires ! (Assistance of the clones. Par herzogrb. CC-BY-NC-SA)

Depuis, j’ai expliqué à nouveau quelles étaient en substance les conséquences de cette loi sur les facultés de copie des usagers des bibliothèques dans une Tribune pour le magazine Archimag, que je reproduis ici :

Le droit d’auteur est essentiellement un droit d’équilibre, entre les intérêts des créateurs et ceux du public dans l’accès aux œuvres. Parmi les mécanismes d’équilibre prévus par le Code de propriété intellectuelle, une exception dite de copie privée joue un rôle important en permettant aux particuliers d’effectuer des reproductions d’œuvres sans violer le monopole reconnu aux titulaires de droits.

En décembre 2011, une réforme législative est intervenue qui a apporté une modification importante au régime de la copie privée. Le législateur a en effet indiqué que la copie privée, pour rester légale, devait être réalisée à partir d’une « source licite ». Cette précision vient mettre fin à un débat complexe, portant sur le point de savoir si la copie privée pouvait être invoquée lors de téléchargements d’œuvres sur les réseaux de partage, ce qui n’est plus le cas à présent.

Néanmoins, cette révision a également eu un effet positif inattendu quant à l’accès à la connaissance. En effet, la loi indique à présent que la source des copies doit être licite, sans ajouter que le copiste doit être propriétaire de l’œuvre dont il fait une reproduction au titre de l’exception.

Or accéder à une œuvre mise à disposition par une bibliothèque constitue une telle source licite, ce qui ouvre l’usage de la copie privée aux utilisateurs des bibliothèques. A condition de respecter les autres conditions fixées par la loi et la jurisprudence (notamment utiliser son propre matériel de copie et réserver les copies à un usage strictement personnel), les usagers des bibliothèques peuvent donc à présent réaliser en toute légalité des reproductions d’œuvres empruntées ou consultées en bibliothèque.

Afin d’informer et de promouvoir cette nouvelle liberté consacrée par la loi française, une première copy party sera organisée le 7 mars prochain à la Bibliothèque universitaire de La Roche sur Yon. Il s’agira de proposer aux usagers de copier avec leurs appareils une sélection d’œuvres mises à disposition par l’établissement, tout en rappelant le cadre légal de cet usage. La copy party se veut un moment festif et convivial, autour de l’accès et du partage de la connaissance, ainsi qu’un questionnement sur le rôle que les bibliothèques peuvent continuer à jouer en la matière à l’heure du numérique, dans le cadre de la loi française.

Sans doute, le législateur n’avait pas songé aux bibliothèques quand il a procédé à cette modification du régime de la copie privée (il y songe en général si peu…), mais c’est un des aspects les plus intéressants du droit qu’il puisse ainsi revêtir à lors de son application des significations qui n’avaient pas été prévues à l’avance.

La Copy Party est une manière de mettre en scène et d’informer sur ces nouvelles facultés de copie dont disposent les usagers des bibliothèques, en rappelant les règles parfois complexes qui encadrent l’exception de copie privée. Même si cet événement est reproductible dans n’importe quel établissement à présent (on peut copier la Copy Party et on espère que cette première à La Roche Sur Yon fera des petits !), il n’est bien entendu pas nécessaire d’organiser un évènement particulier pour que les usagers puissent copier des documents avec leurs propres moyens de reproduction. C’est désormais au quotidien que les établissements vont devoir s’habituer à ces nouvelles possibilités et accompagner les usagers en conséquence.

Y aura-t-il des jumeaux parmi les participants à la Copy Party ? Ce serait formidable ! (Group Shot. Par jabberwocky381. CC-BY-SA)

Cela passera sans doute par une révision des règlements intérieurs, car l’usage des moyens personnels de copie fait généralement en bibliothèque l’objet de restrictions qui n’ont plus lieu d’être, maintenant que la loi a apporté cette clarification importante sur la licéité de la source.

Un exemple ci-dessous (photographié par mes soins) :

Le passage sur le respect du droit d’auteur n’a plus lieu d’être à présent et il entrave même l’exercice d’une exception reconnue par la loi, au même titre que si la bibliothèque se mettait à empêcher les courtes citations…

La copy party sera suivie d’une discussion entre les participants, au cours de laquelle j’aimerais soulever la question de l’articulation des usages privés et collectifs en bibliothèque.

L’application de la copie privée dans le cadre d’une bibliothèque peut avoir quelque chose d’incongru, mais elle peut aussi s’inscrire dans l’évolution de nos évolutions vers des « troisièmes lieux« , redéfinissant les contours entre espaces publics et espaces privés. La bibliothèque est depuis toujours un lieu d’accomplissement de pratiques privées, voire intimes, dans un espace public et avec l’évolution technologique, il importe que l’usager puisse utiliser dans ces lieux les équipements qu’il peut y apporter.

On ne peut cependant se satisfaire de cette seule exception, car il existe également de nombreuses situations où les usagers ont besoin d’utiliser les matériels de copie mis à leur disposition par la bibliothèque. Dans ce cas, il ne peut plus s’agit de copies privées, mais nécessairement de copies « publiques », relevant d’usages collectifs. Ce qui devrait dès lors être reconnu en France, c’est un véritable droit  collectif à la copie numérique, tout comme ce fut le cas avec le droit de reprographie, pour lequel un mécanisme de gestion collective obligatoire a été instauré en 1995 par la loi. Il faut savoir en effet que ce texte ne s’applique pas aux procédés numériques de copie (du moins pas si les appareils délivrent autre chose que des copies papier…). Cette lacune dans la loi fait que la mise à disposition d’un scanner par un établissement à des usagers constitue un véritable casse-tête juridique, dont vous aurez un aperçu ici.

Certes, une exception pédagogique et de recherche a bien été introduite dans la Loi DADVSI, qui couvre certains cas de numérisation de contenus, mais ce dispositif est extrêmement complexe à mettre en oeuvre, et tout particulièrement en bibliothèque (voyez par exemple cette analyse détaillée par Anne-Laure Stérin, et notamment les exemples pratiques à la fin, mais gardez un tube d’aspirine à portée de main !). Et cette exception laisse de toutes façons par ailleurs dans l’angle mort les établissements de lecture publique dont les activités ne sont pas rattachables à l’éducation et à la recherche.

Cette situation n’est que le reflet d’un problème plus général, qui m’apparaît avec de plus en plus de force à mesure que je creuse les questions juridiques liées aux bibliothèques : le déficit de reconnaissance des usages collectifs dans notre pays. Dans un article paru l’an dernier dans le BBF au sein d’un dossier spécial intitulé « Le droit contre les bibliothèques ? », Philippe Masseron, directeur général adjoint du CFC, estimait que la situation en France concernant le droit de copier en bibliothèque était très satisfaisante. Telle n’est pas mon opinion, notamment parce que l’usage des moyens modernes de copie numérique demeure bien trop problématique.

Voilà le genre de questions que je souhaiterais que la Copy Party contribue à faire émerger. Nous parlerons également sans doute à travers la copie privée de financement de la création,  et ce sera peut-être l’occasion d’évoquer les liens entre bibliothèques et licence globale, qui existent bel et bien,  mais restent à l’heure actuelle insuffisamment explorés (j’aimerais trouver le temps de le faire dans une série de billets).

Rejoignez-nous si vous le pouvez et participez à distance grâce au hashtag #CopyParty que nous utiliserons pour livetweeter l’événement !

PS : On me chuchote même dans l’oreillette qu’un invité surprise nous attend à La Roche Sur Yon, qui nous servira abondamment à faire des exercices pratiques de copie ;-) Je m’en frotte les mains d’avance !

Attaque de clones lors de la première Copy Party à La Roche Sur Yon ! (Par Luis. CC-BY-NC-SA)


10 réflexions sur “Copy Party : prendre au mot la loi sur la copie privée et interroger les pratiques en bibliothèque

  1. Génial ! Thomas Jefferson va enfin penser, du fond de sa tombe, que le monde des lois repart dans la bonne direction.. ! (même si involontairement peut-être :-) )

    Cheers,
    Christophe.

    = “A day is coming, when, in the eye of the law, literary property will be as sacred as whisky, or any other of the necessaries of life.” —Mark Twain =

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