Petit message à Robert Plant : le droit d’auteur aurait empêché Led Zeppelin d’exister aujourd’hui ! [Pointes de S.I.Lex]

Pointes de S.I.Lex : refus, coups de gueule et réactions (par Wessex Archeology. CC-BY-NC-SA)

Si quelqu’un par hasard a le mail de Robert Plant, le chanteur du groupe mythique Led Zeppelin, il serait gentil de lui faire passer ce billet, écrit suite à l’énorme coup de sang que m’a donné la lecture de cet article paru hier sur PCInpact.

On y apprend qu’un ensemble de veilles gloires de la pop et du rock anglais – Robert Plant donc, mais aussi Elton John, Roger Daltrey et Pete Townshend des Who, Roger Taylor et Brian May de Queen – se sont fendus d’une lettre ouverte sur le site du journal The Telegrah pour réclamer « une législation solide en matière de copyright afin d’exceller au niveau mondial ».

Led Zeppelin in 1977. Par Dunechaser. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

Cette adresse met en avant le rôle moteur que peut jouer le secteur de la musique dans le développement économique de l’Angleterre et la nécessité de mieux protéger les artistes :

En tant que nation avancée sur le plan du numérique, dont la langue est parlée partout dans le monde, la Grande Bretagne est bien positionnée pour accroître ses exportations à l’ère numérique. Dans le secteur de la création, la compétition ne joue pas sur le coût du travail ou sur les matières premières, mais sur le talent et la capacité à innover.

Pour concrétiser ce potentiel, nous avons besoin d’une législation nationale forte, qui permettra aux industries créatives anglaises de rentabiliser les investissements importants que nécessitent la création de contenus originaux. Les activités illicites doivent donc être rejetées dans les marges.

Ce genre de rhétorique est déjà crispante en elle-même, mais voir Robert Plant s’associer à un tel appel au durcissement du droit d’auteur est particulièrement cocasse et mérite que l’on s’y arrête un instant pour comprendre le ridicule de la chose.

Car si Led Zeppelin avait dû se lancer aujourd’hui, dans le climat de crispation généralisée autour des questions de contrefaçon et de plagiat qui caractérise notre époque, il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce groupe mythique de l’histoire de la musique n’aurait tout simplement jamais pu exister.

Il faut en effet savoir qu’un nombre important de morceaux du groupe – et non des moindres – comportaient des emprunts à des musiques préexistantes, que ce soit au niveau de la mélodie, des parties de guitare ou des paroles, à tel point que Led Zeppelin figure en bonne place dans l’article de Wikipédia consacré au Musical plagiarism !

Des accusations de plagiat ont pu toucher les plus grands groupes de rock, mais chez Led Zeppelin, il n’est pas abusif de dire que l’imitation – parfois presque servile – était un élément à part entière du processus de création. Ce billet détaille par exemple 10 morceaux sur lesquels planent de lourds soupçons de plagiat : Black Mountain Side, Babe I’m Gonna Leave You, Since I’ve Been Lovin’ You, Moby Dick, In My Time Of Dying, The Lemon Song, Bring It On Home, Whole Lotta Love, Daze And Confused et même le célébrissime Stairway To Heaven, dont l’ouverture à la guitare ressemble étrangement au morceau Taurus du groupe Spirit !

Incroyable, crie le fan de Led Zep’ qui sommeille en vous ? Ecoutez plutôt :

Et vous pourrez plus largement vous faire une idée des petits secrets de fabrique de Led Zeppelin en visionnant cette éloquente vidéo :

Led Zeppelin figure d’ailleurs en bonne place dans la série de documentaires Everything is a Remix, qui tend à montrer que la plupart des créations dites « originales » sont généralement constituées d’emprunts plus ou moins directs à des oeuvres préexistantes. Le premier volume de la série judicieusement intitulé The Song Remains The Same, d’après un morceau de Led Zeppelin, consacre plusieurs minutes au cas emblématique du groupe anglais, qui a certes révolutionné la musique en inventant le Heavy Metal, mais en piochant allègrement à droite à gauche.

Ce que fait bien ressortir le reportage, c’est que même lorsque les emprunts étaient vraiment manifestes, Led Zeppelin n’en a pas fait mention et n’a pas cité les compositeurs originaux des musiques et des paroles qu’il réutilisait. Il ne s’agit pas donc pas de reprises, processus créatif qui implique qu’un groupe admette explicitement réinterpréter un morceau composé par d’autres. On n’est pas plus dans le cas du bootleg ou du remix, pratiques qui ne sont apparues que plus tard. Etant donné qu’il y a eu avec Led Zeppelin dissimulation des sources auxquelles le groupe avait puisé son inspiration, on est bien en présence que ce que le droit appelle des contrefaçons.

Et cela a d’ailleurs fini par attirer de sérieux ennuis en justice au groupe, comme le note le commentaire sous cette vidéo.

Les fans du Zeppelin disent que le groupe a fait des reprises de ces chansons. Cependant, ce n’est pas vrai. Les crédits sur les pochette des albums I, II, III & IV indiquent que toutes les chansons ont été écrites par le duo Page/Plant, même dans le cas des chansons traditionnelles. Après plusieurs batailles en justice conduites par les artistes originaux, leurs noms ont été rétablis sur les albums. Si vous achetez un album de Led Zep’ aujourd’hui et que vous le comparez aux premiers enregistrements, vous verrez que les crédits ont été modifiés.

Le passé de Led Zeppelin continue d’ailleurs à rattraper certains membres du groupe. Le guitariste Jimmy Page a encore été attaqué en 2010 en procès par le musicien folk américain Jake Holmes, pour le fameux morceau Daze and Confuzed, repris quasiment tel quel par Led Zeppelin alors qu’il l’avait composé et interprété deux ans plus tôt.

Robert Plant, qui signe donc cette lettre pour demander avec ses fameux trémolos dans la voix que la législation sur le droit d’auteur soit durcie, a été mis en cause directement dans au moins deux affaires, pour la reprise de paroles qu’il était censé avoir écrites pour Whole Lotta Love et Boogie With Stu. Les deux plaintes ont été éteintes par des transactions et le versement de sommes d’argent pour mettre fin  aux poursuites.

Entendons-nous bien cependant.

Je ne veux nullement remettre en cause le génie propre de Led Zeppelin, ni l’apport énorme de ce groupe à l’évolution de la musique au cours des années 70. Une grande part d’ailleurs de la richesse de Led Zep’, c’est justement d’avoir plongé ses racines profondément dans le blues et la musique folk, tout en les réinventant avec un son, une énergie et une créativité monstres !

Je défends depuis longtemps les pratiques de remix et de mashup, ainsi que la réappropriation créative sous toutes ses formes. Comme l’artiste-peintre Gwen Seemel, j’estime de toutes façons que l’imitation est inévitable dans le processus de création et qu’elle est bénéfique, autant pour celui qui imite que pour celui qui est imité :

On peut cependant considérer que le droit de paternité et l’obligation corrélative de citer ses sources constituent des éléments essentiels du droit moral, et de ce point de vue, l’attitude de Led Zeppelin est sans doute contestable. Mais il faut aussi se resituer dans les années 70, où toute la musique rock est née en puisant constamment dans les standards du blues et du folk. La période était plus tolérante que la notre et les critères éthiques qui délimitent la frontière ténue entre l’inspiration et le plagiat n’étaient pas les mêmes que ceux qui ont court actuellement.

Mimi and Eunice. Par Nina Paley. Copyheart. Please copy and share.

C’est précisément pour cela que voir Robert Plant signer une lettre comme celle qui vient d’être publiée dans The Telegraph est choquant. Nous avons échappé au pire  avec le rejet d’ACTA au Parlement européen et les équilibres du droit d’auteur sont à présent à reconsidérer. Nous vivons une époque où les abus des droits de propriété intellectuelle sont légions et où la liberté d’expression et de création est trop souvent étouffée par une conception incroyablement rigide du droit d’auteur.

Si Led Zeppelin avait été créé aujourd’hui, il n’aurait tout simplement pas pu exister. Le groupe aurait été balayé dès son premier album par des poursuites en justice et « rejeté dans les marges de l’illégalité », pour reprendre cette expression horrible qui figure dans la lettre signée par l’ancier chanteur du groupe.

Robert Plant a-t-il pu à ce point oublier d’où il venait avant de signer ce texte ? Combien de Led Zeppelin en puissance ne verront pas le jour parce qu’ils n’auront pu passer à travers les mailles d’un filet juridique de plus en plus étouffant ?

Allez vite, pour nous laver de tout ça, finissons par un petit Dread Zeppelin, avec cet incroyable Stairway To Heaven passé à la moulinette reggae, sur fond d’images de Godzilla (un groupe parodique qui n’a pas l’air, soit-dit en passant, de tellement déplaire à Robert…)


29 réflexions sur “Petit message à Robert Plant : le droit d’auteur aurait empêché Led Zeppelin d’exister aujourd’hui ! [Pointes de S.I.Lex]

    1. Un commentaire de Miss Media en personne, quel honnneur !

      Merci pour l’adresse. Je vais tenter le coup, car j’aimerais beaucoup avoir le sentiment de l’intéressé sur ce léger paradoxe…

      L’espoir fait vivre !

  1. Lors d’une discussion débridée avec un avocat sur les calamités du mauvais usage droit d’auteur dans les marchés de maîtrise d’oeuvre, ce dernier m’a dit qu’à son avis, un architecte qui s’inspire du travail de ses pairs pour créer quelque chose de neuf et beau ne se préoccupe du droit d’auteur et de la protection de ses oeuvres que le jour où, comme une vieille diva qui fait de la retape dans les casinos, il n’a plus rien à apporter à l’art. Cela doit se transposer aussi à la musique.

    1. Hey salut Quentin ! Pas encore eu le temps d’épingler encore les architectes, mais il y a beaucoup à dire en effet dans ce domaine, notamment parce que la propriété intellectuelle conduit alors à des formes particulièrement préoccupantes d’appropriation de l’espace public (cf. Interdiction de rediffuser des photos de bâtiments protégés, même quand ils sont situés le long des voies publiques, sauf exceptions ténues).

  2.  »
    À propos de calimaq
    Ce blog est tenu par : Lionel Maurel Conservateur des bibliothèques en poste à la Bibliothèque nationale de France Je suis devenu conservateur d’Etat après avoir fait des études en sciences politiques (IEP de Toulouse) et en droit public à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse 1 (DEA Droit public fondamental). Depuis mon arrivée dans le monde des bibliothèques, je m’intéresse tout particulièrement aux questions juridiques liées à l’activité des bibliothèques, notamment tout ce qui touche à la propriété intellectuelle et aux droits d’auteur. Je suis membre de l’ADBS (Association des Documentalistes et Bibliothécaires Spécialisés) et participe aux travaux de la Commission Droit de l’Information, ainsi qu’à l’action de lobbying de l’IABD (Interassociation Archives/Bibliothèques/Documentation) Contact : calimaq at gmail point fr »

    Et avec un tel pedigree vous vous intéressez à un phénomène culturel aussi « important » que Led Zeppelin?
    Sur la question du droit d’auteur essayez plutôt de taper « Sherrie Levine » dans Google…

    A bon entendeur! ;-)

    1. Intéressant en effet, cette artiste Sherrie Levine que je ne connaissais pas : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sherrie_Levine Dans la droite ligne du courant appropriationniste de l’art contemporain, qui revendique après Duchamp et ses ready made les emprunts aux oeuvres préexistantes.

      Quant à Led Zeppelin, en effet, je le rangerai volontiers dans les phénomènes culturels importants du siècle précédent, mais mes goûts musicaux peuvent être plus radicaux. C’est juste que je n’ai pas encore dénicher une affaire qui me permettrait d’écrire un billet sur les aspects juridiques du Death Metal ;-)

      1. Merci pour cet article passionnant, dans un sens je suis assez tolérant sur les plagiats de Led Zeppelin, pour Stairway to heaven, je pense que c’est surtout de l’inspiration.
        Dans le Death c’est différent, ils en ont un peu rien à faire des plagiats, ils sont déjà bien assez occupés à composer et à tourner, ils ménent pas la vie en rose tous les jours c’est pas pour se bourrer le mou entre eux :). Et puis vu la complexité des compositions et la variété des influences, c’est extrémement difficile de trouver des plagiats, c’est un travail de titan.

  3. Bon, sinon, encore une fois, on nage en pleine confusion entre doit d’auteur (droit moral de l’auteur sur l’œuvre elle-même, interdisant qu’on attente à son intégrité) et droits d’exploitation de cette œuvre, qui fait l’objet d’une cession avec contrepartie financière, généralement sous forme de pourcentage. Intéressant de noter que ce sont ceux qui touchent le plus gros pourcentage qui s’indignent, d’ailleurs.

  4. Eh bien ils n’ont pas fini de se débattre dans les procès, tant les accords et progressions d’accords « qui vont bien » sont utilisés en musique depuis la nuit des temps. Exemples archi connus et encore plus utilisés la progression I – IV – V (ex. Do – Fa7 – Sol7) du blues ou bien la descente d’accords du canon de Pachelbel… En la matière personne ne part de zéro et même les plus grands compositeurs n’ont pas sorti leurs partitions du néant.
    Derrière toutes ces histoires on met en avant les artistes (avec ou sans guillemets autour) mais derrière et leur tenant la plume pour leurs pétitions on sent la dictée des éditeurs et des distributeurs, qui en la matière se taillent la part du lion. Une telle pétition signée Sony Music et Vivendi – Universal aurait fait ricaner tout le monde, là, ces malheureux créateurs faméliques …
    D’accord avec Stella on nage en pleine confusion entre droit d’auteur et droit d’exploitation. Les deux n’étant pas franchement distincts dans le monde anglo saxon, ceci explique cela.

  5. J’allais oublier… On ne dira jamais assez combien les groupes de rock des 70’s ont emprunté sans vergogne aux auteurs anonymes, décédés, ou moins jaloux de leurs prérogatives, du blues et du folk qui les ont précédés. Et le plus souvent sans mauvaises intentions, c’était ce qui leur plaisait et qu’ils écoutaient… alors les leçons de morale…. au vestiaire!

  6. Si le parti-prit était juridiquement « légitime », certaines lois auraient été abrogées depuis longtemps, donnant ainsi la responsabilité non plus à l’artiste plagieur, mais à l’artiste original. J’illustre, en redéfinissant un peu de vocabulaire galvaudé:

    Plagiat (du domaine artistique): action de copier tout ou partie d’une oeuvre dans l’intention de la reproduire sans manifester l’intention d’apporter une plus-value artistique à l’oeuvre ainsi empruntée. Le plagiat est rendu légitime dès lors que l’artiste copié valide, par signature d’un acte contractuel, la reproduction de son oeuvre originale, sans toutefois exiger un quelconque apport qualitatif à l’oeuvre basée sur son oeuvre originale. Dans 100% des cas, une tractation financière au profit de l’artiste original est l’argument incontournable à l’autorisation de cette utilisation. Exemple contemporain: l’intégralité du catalogue musical utilisé par la Star Academy. L’intégralité des fichiers musicaux commercialisés pour une utilisation en sonnerie de téléphone mobile. Pléthore d’autres exemples largement disponibles sur la plupart des bandes FM et radios émettrices commerciales.
    Expressions synonymes de « autorisation au plagiat »: Incitation et usage à: pollution sonore, pollution intellectuelle, trafic d’art, destruction du patrimoine, encombrement de l’offre artistique, faute manifeste à l’éducation musicale, substitution des repères artistiques qualitatifs auprès du publique, escroquerie et manipulation qualifiées du dit publique en manque de repères, etc…

    Reprise (du domaine musical): action de reproduire tout ou partie d’une oeuvre existante, avec ou sans l’accord de l’artiste original. Par opposition au plagiat, la motivation à une reprise n’a pas de fondement mercantile au premier abord. Elle est premièrement liée à un désir d’appropriation et de restitution de l’oeuvre originale par un artiste tiers dont la volonté déclenchante tient à un remaniement à optique qualitative manifeste, tout jugement de valeur écarté. L’artiste n’étant, par essence, ni juriste ni commercial, on tend à lui adjoindre, dans le cadre d’une activité de notoriété publique susceptible de générer des mouvements de capitaux fondés sur le produit de cette reprise, les compétences d’un juriste réellement musicien, apte à défendre auprès de l’artiste original, l’authenticité de l’intention premièrement artistique et non mercantile de l’artiste tiers.
    Cette communication transversale permet d’établir un échange et un apport, premièrement lié à l’évolution ou la transformation à visée qualitative de l’oeuvre originale, dont la finalité est étroitement liée à la recherche réellement musicale.

    Enfin bref, le devoir m’appelle, je vous laisse le soin de compléter à qui veut…

  7. Au fait… je le met ici faute de mieux: que peut nous dire « Lionel Maurel Conservateur des bibliothèques en poste à la Bibliothèque nationale de France » sur ces bibliothèques (BNF?) qui scannent les livres anciens et surement d’autres, AVANT DE LES METTRE AU FEU, en oubliant pas de poser UN COPYRIGHT sur ces scans, fichiers numériques…
    Voilà quelque chose de fondamentalement intéressant n’est-ce pas? …
    Merci.

  8. Comment alors un procès pourra t’il avoir lieu ? A mois d’une loi décrétant qu’un tribunal est un territoire d’exception
    Si cela continue pourra t’ on parler sans verser des droits à ceux qui auront mis un brevet sur les mots ?

  9. Une série de billet sur la culture Metal, je suis preneur ; la matière est riche, pour étudier les mentions des visuels, les limites des intro/break/riff, ou les vrais risques juridiques.

    J’ai de nombreux exemples en tête de reprises tout-à-fait normales et créditées, de reprises de morceaux de musique classique, dans le sous genre Heavy. Et dans le sous-genre du Folk Metal, les hybridations avec les patrimoines musicaux nationaux sont entremêlées à loisir. ;-)

    Par contre, dans des albums de culture hybride comme le « Roots » de Sépultura, je serais bien curieux de voir la pochette du CD en détail, qu’il y ait bien la mention des chants indiens Xavantes, entre autres guests, si je l’avais sous les yeux.

  10. Merci pour cet article,
    cela me fait penser à cet excellent interview de Denise Glaser qui emploie l’expression « Faussaire de génie » et à la réponse de Gainsbourg à cette qualification.

    La suite de l’interview :

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.