Que se passe-t-il quand on demande la permission à la National Portrait Gallery ? (suite de l’affaire Wikipédia)

Suite au billet de la semaine dernière que j’avais consacré à l’affaire qui oppose Wikipédia à la National Portrait Gallery à propos d’images du domaine public chargées par un utilisateur sur Wikicommons, j’ai passé un certain temps sur le site du Musée anglais, que je n’avais jamais visité. Il est d’une grande richesse au niveau des contenus proposés et si vous aimez la peinture, je vous recommande la section « Explore » qui offre la possibilité de faire un grand voyage dans le temps,du Moyen-Age à nos jours, avec des entrées par périodes, par personnages représentés, par peintres ou par salles du musée.

Anne
National Portait Gallery. La Reine Anne, par Sir Godfrey Kneller. 1690 Il s'agit de la Reine Anne sous le règne de laquelle, en 1709, a été adopté en Angleterre le Statute of Anne, considéré comme la première loi fondatrice du droit de la propriété intellectuelle.

Or au gré de mon parcours, je me suis rendu compte qu’en regard de chaque image numérisée (voir celle-ci par exemple) figurait un champ Use this portrait avec deux liens : Licence this image et Use this image on your web site.

En voyant cela, je me suis dit qu’il pouvait être intéressant de tenter une petite expérience et de voir s’il était facile d’obtenir la permission de réutiliser quelques images pour illustrer un billet de blog et à quelles conditions. C’est ce que j’ai fait et je dois dire que cet exercice fut effectivement riche d’enseignements.

J’avais en tête quelques idées de personnages dont je voulais récupérer le portrait. En utilisant le moteur de recherche du site et l’index des personnes représentées (Sitters A to Z), j’ai pu les trouver en quelques clics. A titre de comparaison, j’ai essayé de faire la même recherche à partir de l’espace dans Wikimédia Commons où figurent les tableaux qui ont été chargés par l’utilisateur à l’origine de l’affaire. Pour l’instant, la recherche est moins aisée que sur le site du Musée, puisqu’on doit se contenter de passer une à une les pages, sans pouvoir lancer de recherche sur le sous ensemble des portraits de la NPG.

Une fois que j’ai trouvé ce que je cherchais, en cliquant sur le lien Use the image on your web site, je suis tombé sur ce petit texte détaillant la marche à suivre pour obtenir l’autorisation (la page est en anglais seulement)

Do the right thing!

You need permission to use our images on your website.

Here’s how to apply (it’s easy):

1. Tell us which images you would like to use (e.g. NPG 1, William Shakespeare).

2. Tell us how you would like to feature the image, and how long for.

3. Tell is whether your website is personal, academic, commercial or corporate.

4. Provide us with the URL and your postal address.

5. Let us know who is sponsoring the site (i.e. who pays the bills!).

Why not send your application now, by e-mail to rightsandimages@npg.org.uk.

* We will then reply, to let you know if permission is available.

* We will also let you know how much it is going to cost.

* If you confirm you order in writing and provide full payment, we will fulfil your order as quickly as possible and supply the images with a licence to use them in your project.

* The specific terms of the licence are set out in the invoice (you’ll need to get further permission if you want to use the images in any other way) while the general terms are spelt out carefully in our terms & conditions.

Suivant cette procédure, j’ai donc envoyé un message à l’adresse mail qui m’était indiquée, expliquant que je souhaitais récupérer trois images pour illustrer un billet de mon blog, qu’il s’agissait d’un usage personnel et non d’une réutilisation  à des fins commerciales (il n’y a pas de pub sur mon blog) et que je pouvais me contenter de récupérer les images telles qu’elles figurent sur le site, sans modification. Je terminais en demandant si un tel usage donnait lieu au versement d’une redevance et à quelles conditions je pourrais réutiliser les images.  Le message est parti le 4 août dans l’après-midi.

Durée globale de ces opérations : environ une heure (temps de rédaction du message en anglais inclu).

John Locke par Micheal Dahl, 1696. Les idées du philosophe John Locke ont grandement contribué à justifier l'existence du droit de propriété intellectuelle sur les fruits du travail de la pensée.
John Locke par Micheal Dahl, 1696. Les idées du philosophe John Locke ont grandement contribué à justifier l'existence du droit de propriété intellectuelle sur les fruits du travail de la pensée.

J’étais très curieux de voir combien de temps il allait me falloir attendre pour obtenir une réponse. Or celle-ci fut très rapide : le 5 août dans l’après-midi, un peu moins de 24 heures après ma demande, j’obtenais une réponse qui m’indiquait que je pouvais récupérer gratuitement les images du site du Musée pour illustrer mon blog, à conditions d’accepter les conditions d’utilisation figurant dans une pièce attachée. Je précise que la réponse émanait d’une bibliothécaire travaillant pour le Musée, spécialisée dans les questions de droits des images (c’est ce qui figure dans son cartouche de signature).

Je consultais donc ces conditions (en anglais) qui indiquent grosso modo que l’on est tenu de créditer la National Portrait Gallery en cas de réutilisation d’une oeuvre, que l’on ne peut pas la modifier sans autorisation et que l’on doit faire figurer les éléments classiques d’information sur l’oeuvre (auteur, titre … etc). Les conditions comportent d’autres dispositions relatives à la publication ou à la réutilisation commerciale, assorties de la liste des amendes et autres joyeusetés que l’on encourt en cas de violation. Je dois dire que ce document (d’une page écrite petit) est assez complexe et pas facile d’accès pour un néophyte.

Un passage m’a même fait douter que je puisse accepter ces conditions dans le cadre d’une réutilisation en ligne:

The Gallery’s images must not be copied, stored or transmitted in electronic or other media unless by separate written permission, except where such is incidentally and wholly necessary to the process of production for products properly licensed by the Gallery. At the conclusion of such production, all intermediate copies of this material must be destroyed.

Pas pratique quand on veut illustrer son blog, non ? Mais je me suis dit que le mail de la bibliothécaire constituait justement une separate written  permission qui me permettait la réutilisation en ligne et les actes de copie et de stockage qu’elle implique. Je précise également que la bibliothécaire dans son message me demandait de faire un lien en retour vers le site du Musée, alors que cette condition ne figurait pas dans le document qu’elle m’a transmis. Finalement, j’ai accepté ces conditions et envoyé un message pour le signifier au Musée.

Durée de cette opération : une demi-heure environ, en prenant le temps de lire très scrupuleusement les conditions.

Sir William Blackstone par un artiste inconnu, 1755. Blackstone est l'un des plus fameux des avocats anglais. En tant que juriste, il a contribué à faire de la propriété l'un des droits fondamentaux de la personne humaine.
Sir William Blackstone par un artiste inconnu, 1755. Blackstone est l'un des plus fameux des avocats anglais. En tant que juriste, il a contribué à faire de la propriété l'un des droits fondamentaux de la personne humaine.

Et au final, voilà les images sont sur mon blog en toute légalité. Je les ai directement récupérées sur le site, en faisant un copier/coller, fonctionnalité qui n’est pas bridée lorsqu’on est sur le site du Musée. J’aurais apprécier pouvoir récupérer plutôt une URL pour pouvoir faire un lien vers l’image (et à mon avis c’est aussi préférable pour le musée, car l’utilisateur n’a pas à stocker l’image chez lui). Il s’agit d’images en base résolution, mais de bonne qualité, suffisante pour ce que je voulais en faire.Vous remarquerez en outre que ces images ne sont pas marquées.

Alors au final, quels enseignements peut-on tirer de cette expérience ?

1) Oui, les images appartenant au domaine public sont copyrightées sur le site de la National Portrait Gallery, ce qui signifie qu’a priori tous les droits sont réservés aussi fortement que s’il s’agissait d’œuvres toujours protégées (la National Portrait Gallery explique d’ailleurs sa politique sur une page, avec des renseignements intéressants sur le droit d’auteur anglais et le fondement sur lequel elle s’appuie). J’ai déjà eu l’occasion de dire que selon moi, cette revendication appuyée sur le droit de la propriété intellectuelle n’était pas légitime, parce que la numérisation ne doit pas conduire à faire renaître un droit d’auteur qui s’est éteint. Mais cela ne signifie pas pour autant que la National Portrait Gallery bloque complètement la réutilisation en ligne. Elle demande à ce qu’on lui demande la permission en suivant un certain formalisme pour examiner le contexte de la réutilisation et déterminer s’il y a lieu d’appliquer un tarif. Le site contient d’ailleurs une page donnant des informations sur les licences à obtenir en cas d’usage commercial.

2) La manière dont les informations juridiques et les conditions d’utilisation figurent sur le site est relativement satisfaisante. Notamment parce que le lien « Use the image on your web site » accompagne chaque oeuvre, ce qui est beaucoup plus ergonomique que lorsque les conditions sont indiquées sur une page unique, souvent enfouies au fin fond du site de l’institution et très dure à trouver. L’information juridique à mon avis nécessite un  niveau fin de granularité pour être efficacement portée à la connaissance des utilisateurs et elle doit accompagner dans l’idéal chaque document. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réactivité aux demandes est bonne : moins de 24 heures de délai ne me paraît pas une mauvaise performance. Et au final, on peut obtenir la permission à titre gratuit.

3) La NPG a donc mis en place un véritable système pour traiter les demandes de réutilisation avec  au moins une personne chargée de délivrer les réponses. Elle a aussi mis en place une véritable politique d’exploitation des images, avec des tarifs et des conditions établies pour chaque cas. J’avais été frappé lorsque j’avais étudié les conditions de réutilisation des documents du domaine numérisés par les bibliothèques françaises à quel point 1) les usages autorisés sont restreints (le Copyright « tous droits réservés » est le cas le plus commun) 2) les conditions juridiques sont difficiles à trouver et à interpréter (quand elles existent !) 3) la plupart des établissements n’ont pas fixé de politique claire en matière d »exploitation et n’ont pas mis en place de système de traitement des demandes , alors même qu’ils verrouillent les réutilisations.

Tout cela m’amène à cette conclusion : il ne faut peut-être pas s’arrêter au copyright brutal qui figure sur les images de la National Portrait Gallery et reconnaître que l’établissement a mis en place un vrai service (mais je persiste à dire que sur le plan juridique cette revendication du copyright est très discutable et qu’il faut éviter ce fondement lorsqu’on pose des conditions de réutilisation). Quand on regarde les faits, la NPG permet la réutilisation assez largement et souplement.

Problème : est-ce que ces modalités sont compatibles avec les usages du web et les besoins grandissant en matière de réutilisation des contenus culturels ? Ce n’est pas certain du tout… Il m’a fallu quand même plus d’une heure  pour envoyer ma demande et même si je n’ai attendu que 24 heures pour avoir la réponse, ce ne sont pas des délais compatibles avec l’accélération du tempo sur le web. De plus, je ne suis pas, un cobaye très représentatif, puisque j’en arrive maintenant à lire des mentions légales et des CGU par plaisir (certains diraient que je suis un grand malade …). Pour l’utilisateur classique, la démarche de formuler une demande d’autorisation peut être bloquante. Sans compter qu’il faut la rédiger en anglais … Et puis, on peut aussi imaginer que les utilisateurs peuvent penser qu’une image ancienne n’est pas protégée par des droits et qu’ils peuvent librement la réutiliser (ce en quoi ils n’ont pas complètement tort … mais il est difficile de rater le copyright de la NPG quand même).

Cette procédure individualisée est lourde et doit être renouvelée pour toutes les demandes. Elle a aussi un coût, qui doit être important pour l’institution et que l’on ne doit pas sous-estimer, en terme de personnel et d’organisation. Elle a aussi un coût pour l’utilisateur en temps et en formalités. Dans le contexte actuel de l’internet, il ne faut peut-être pas s’étonner que les internautes passent outre et emportent les images.

En revanche, certaines des conditions fixées par la NPG me paraissent importantes et justifiées. Je dirais même fair (loyales) comme le fait de mentionner la provenance des images, de renseigner le nom de l’artiste et le titre de l’oeuvre et de faire un lien en retour vers le site de l’institution. A mon avis, il faudrait même que ces conditions soient respectées « automatiquement » par le biais de métadonnées accompagnant l’image ou mieux en proposant un lecteur exportable permettant d’inclure l’image dans un site avec renvoi vers le site de l’institution en un clic. Et puis pourquoi obliger à écrire un mail quand on pourrait mettre en place un formulaire simple ou une interface avec des cases à cocher (et en plusieurs langues tant qu’à faire) ?

L’idéal serait même au final que le Musée autorise publiquement la réutilisation à des fins non commerciales, y compris en ligne, de manière à signifier une bonne fois pour toutes sa politique. Ce serait assurément meilleur pour son image et lui éviterait peut-être la mésaventure qui lui arrive avec Wikipédia. On serait alors proche d’une licence Creative Commons BY-NC-ND . Sauf que celles-ci ne sont pas vraiment applicables aux œuvres numérisées du domaine public, parce qu’elles se fondent sur le droit d’auteur … Mais on pourrait penser à un système similaire d’autorisation a priori des usages, voire même à une déclinaison des CC spécialement conçues pour les institutions publiques (les CC0 dont j’ai déjà parlé dans S.I.Lex constituent en ce sens une piste intéressante).

Il y a également un gros problème à mon avis avec le fait de demander une réutilisation des images telles quelles sans modification, car le propre de la culture numérique est le Remix qui implique la transformation et le domaine public peut constituer un formidable réservoir de matière première pour les créateurs. Modifier, transformer, ce n’est pas forcément dénaturer ! Cela peut être le plus beau des hommages à une œuvre ancienne. Voyez cet exemple en vidéo que je trouve de toute beauté.

Women In Art par Phillip Scott Johnson
Women In Art par Phillip Scott Johnson

Je ne fais qu’ici essayer de trouver quelques pistes, mais ces propositions ne règlent pas le problème qui oppose la National Portrait Gallery à Wikipédia. La licence de Wikipédia (la GFDL et depuis peu la licence Creative Commons BY-SA) ne seraient pas compatibles avec des conditions de réutilisations excluant l’usage commercial. C’est à mon avis le point majeur d’achoppement dans cette affaire et celui pour lequel les solutions restent à trouver.


8 réflexions sur “Que se passe-t-il quand on demande la permission à la National Portrait Gallery ? (suite de l’affaire Wikipédia)

  1. Bon à savoir !
    Merci d’avoir effectué ce test.

    Pour info :
    « J’aurais apprécier pouvoir récupérer plutôt une URL pour pouvoir faire un lien vers l’image (et à mon avis c’est aussi préférable pour le musée, car l’utilisateur n’a pas à stocker l’image chez lui) »

    ==> Clic droit / Propriétés et l’URL de l’image y est !

    1. Bonjour,

      Merci pour l’information !

      Mais ce serait plus convivial quand même pour les utilisateurs si cette URL était fournie d’emblée …

  2. Bonjour,

    Entièrement d’accord avec votre analyse. La NPG n’est peut-être pas l’institution la plus criticable de toutes dans le cadre de cette grande entreprise généralisée de réapposition de droits de propriété sur des éléments qui font partie du domaine public.

    Ses pratiques n’en demeurent pas moins des restrictions insupportables et injustifiées au domaine public, qui comme vous le remarquez va plus loin d’une simple licence CC (licence qui suppose que survive encore un droit d’auteur, ce qui n’est le cas que dans les législations anglo-saxonnes qui font la part belle aux investisseurs plutôt qu’au public).

    La procédure que vous détaillez ici est encore trop lourde pour le contexte web de son utilisation. A l’instar des plateformes de téléchargement légal (qui aux process lourds ajoutent le paiement de droits), ce type de procédure relève encore d’une trop grande limitation à la circulation des contenus sur internet. Là aussi il faudra fluidifier, ou alors admettre que les comportements dits « pirates » ne sont en fait que les nouveaux comportements normaux sur la toile…

  3. Moi par exemple je serais bloquer en anglais a moins de passer par un traducteur en ligne, quand à mettre le lien de l’image directement je ne préfère pas car ça mangerais leur bande passante et surtout le jour ou ils changent qu’elle que chose sur le site le lien de l’image est rompue.

  4. « cette grande entreprise généralisée de réapposition de droits de propriété sur des éléments qui font partie du domaine public. »

    les anglais ont une longue tradition de privatiser et s’accaparer les bien publics (mouvement des « enclosures ») !

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