Filons de S.I.Lex #12 : le relevé des fouilles de la semaine

Master pieces. Par america perales. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

I Affaire Google Book Search et numérisation

La municipalité de la Ville de Lyon a donc choisi de suivre l’avis de la CADA rendu le 13 novembre dernier, suite à la demande de communication du contrat déposée par le magazine Livres Hebdo. On ne peut que saluer cette décision qui va dans le sens de la transparence démocratique. Vous trouverez au bout du lien ci-dessus le CCTP (cahier des clauses techniques particulières), l’acte d’engagement du marché et une lettre d’éclairage de Google. Je ne vais pas me lancer dans une analyse détaillée de ces documents (d’autres ont commencé à le faire), mais je voudrais donner quelques éléments pour bien cerner la spécificité de ce contrat par rapport à ceux que nous connaissons déjà (à savoir les contrats Google avec l’université du Michigan et l’université de Californie).

1) Il semblerait que ce contrat n’impose pas d’exclusivité d’indexation au bénéfice de Google, c’est-à-dire n’oblige pas la BM de Lyon à empêcher des moteurs de recherche concurrents d’indexer les contenus qu’elle pourra diffuser grâce aux copies numériques remises par Google. C’est une très grande différence par rapport aux contrats Michigan/Californie, qui mentionnaient cette exclusivité en toutes lettres, en allant même jusqu’à indiquer la manière dont le blocage devait être effectué techniquement. Je resterais toutefois prudent sur ce point, car les copies numériques de la BM seront diffusées par le biais d’un site mis en place par Google lui-même (Hosted Solution). Il faudra donc vérifier in concreto si ce site est ouvert à l’indexation par les autres moteurs de recherche. Rien dans le contrat n’indique expressément que Google est obligé de le faire.

2) Le CCTP impose en revanche une exclusivité sur la numérisation. La Ville de Lyon n’a pas le droit de faire renumériser les mêmes ouvrages par un autre opérateur que Google durant toute la durée d’exécution du contrat (soit 25 ans). Mais la lettre d’éclairage précise qu’il est possible de faire numériser d’autres parties de la collection  de la BM par des tiers.

3) L’exclusivité commerciale est bien là pour une durée de 25 ans. Il n’est pas possible à la Ville de Lyon de faire un usage commercial des fichiers remis par Google ou de permettre à des tiers d’en faire usage à des fins lucratives. Un tempérament existe cependant lorsqu’une valeur ajoutée est apportée par la bibliothèque par rapport aux simples fichiers. On comprend ce que cela signifie en lisant le contrat de l’Université de Californie. (Ex. : apports éditoriaux, réalisations de produits pédagogiques…).

4) Le contrat impose certaines restrictions à l’usage des fichiers remis à la BM. La Ville de Lyon s’engage à empêcher le téléchargement en nombre et la dissémination massive des fichiers remis par Google sur la Toile (extractions automatisées et répétées de la base de données). En revanche les utilisateurs pourront télécharger à la pièce des ouvrages, mais seulement en mode image.

5) Le contrat permet à la BM de Lyon de conclure des partenariats à finalité non-commerciale avec d’autres bibliothèques/établissements et la lettre d’éclairage mentionne explicitement la possibilité pour la BM de Lyon de participer à Europeana ou de collaborer avec Gallica. Cependant, le CCTP ne permet pas la remise des fichiers eux-mêmes à un tiers. On en déduit que l’échange de données (par exemple par le biais du protocole OAI-PMH) est possible, mais pas l’échange de fichiers. C’est toutefois suffisant pour participer à Europeana et le contrat indique qu’il est possible d’aller plus loin, à condition d’obtenir l’accord de Google.

D’autres trouvailles en lien avec l’affaire Google Book Search :

Il s’agit du compte rendu de l’audition qui a été tenue à Bruxelles le 7 septembre dernier par la Commission à propos de Google Book. Intéressant document qui tente de faire la synthèse des points de vue qui se sont exprimés alors. On remarquera l’insistance sur la question des oeuvres orphelines et des oeuvres épuisées.

Les assemblées parlementaires se saisissent elles-aussi de la question de la numérisation du patrimoine, en organisant des débats publics qui sont peut-être parmi les plus intéressants que l’on puisse trouver à ce sujet dans l’Hexagone. On peut lire un compte rendu de cette table ronde de l’Assemblée chez Livres Hebdo. L’initiative de l’Assemblée qui figure au bout du lien ci-dessus est à rapprocher des travaux du Sénat. Voyez notamment cette question orale avec débat posée par Jack Ralite le 16 novembre dernier et le compte rendu des débats qui ont suivi. Vous constaterez notamment qu’il est fait explicitement mention de la position exprimée par l’IABD (Interassociation Archives bibliothèques Documentation) à propos de Google Book, avec reprise des arguments.

Compte rendu officiel du Conseil des ministres de la Culture qui s’est tenu à Bruxelles vendredi dernier et qui a accordé une large place à la question de la numérisation des contenus culturels (Compte rendu en accès restreint sur Livres Hebdo). Frédéric Mitterrand y a notamment défendu l’idée de mettre en place au niveau européen une réflexion pour déterminer les conditions des partenariats publics-privés acceptables en matière de numérisation.

II Autres trouvailles de la semaine

1) Importante réforme en vue en Angleterre

L’Angleterre, dont j’ai eu l’occasion de parler au début du mois dans S.I.Lex, s’engage sur la voie d’une réforme législative importante par le biais du Digital Economy Bill. C’est une évolution qu’il faudra suivre de près, car nos voisins Britanniques semblent en train d’aborder de manière constructive la question de l’adaptation de la propriété intellectuelle à l’environnement numérique.

C’est notamment le cas en matière d’oeuvres orphelines. Les britanniques sont en train de s’attaquer à ce problème à bras le corps et la British Library, très impliquée dans ces réformes, applaudit des deux mains.

2) Bibliothèques et libertés

Les bibliothèques américaines se mobilisent contre les Accords ACTA, ce traité secret qui risque d’entraîner un bouleversement incroyablement funeste pour les libertés numériques au nom de la lutte contre la piraterie. Ce document est extrêmement intéressant car il montre en quoi les bibliothèques sont directement concernées par la menace ACTA, notamment parce que ce texte bafoue l’idée d’un équilibre entre le droit d’auteur et les droits d’accès à la culture et à la connaissance, qui a toujours été la ligne des bibliothèques partout dans le monde. J’essaierai cette semaine de présenter ce document dans un billet, car il me semble que c’est un combat dont les bibliothécaires ne peuvent se tenir à l’écart. Au cas où vous n’auriez encore jamais entendu parlé d’ACTA, je vous recommande la lecture de court billet très instructif chez Papillon-Butineur (sic!) : L’ACTA, c’est quoi ? Pour en savoir plus à propos d’ACTA, sujet complexe, j’ai essayé de rassembler quelques références essentielles dans cette perle de liens (Pearltrees).

Accords ACTA//

C’est peut-être la fin d’une période très sombre pour les bibliothèques américaines. Le Patriot Act pourrait être révisé pour limiter fortement la possibilité d’obtenir des bibliothèques des informations personnelles de leurs lecteurs dans le cadre des enquêtes contre le terrorisme et la sécurité de l’Etat. Un amendement a été déposé en ce sens à la Chambre des représentants C’est le résultat de plusieurs années de lobbying mené par les bibliothécaires et les associations de défense des libertés en faveur de la Privacy (respect de la vie privée). Pendant ce temps en France, les eaux noires de la Loppsi montent peu à peu et les bibliothécaires seraient bien peu avisés de croire que cette nouvelle loi liberticide n’aura pas de retombées sur eux… et c’est dès janvier qu’il faudra être en mesure de se mobiliser… demain… Avez-vous vraiment envie d’un Patriot Act à la française ?

3) Culture libre

Ce musée ethnographique hollandais a choisi d’enrichir Wikimedia Commons avec ces images, en acceptant de libérer les droits sur ces contenus (licence CC-BY-SA). Cette initiative en faveur de l’accès ouvert au domaine public rejoint celles déjà entreprises par la Deutsche Fotothek et les archives fédérales allemandes.

Belle déclaration lancée à l’occasion du Forum social mondial 2009, non sans rapport d’ailleurs avec le lien qui figure ci-dessus. Le texte donne à penser sur la notion d’appropriation de biens qui devraient pouvoir bénéficier à tous, et au rang desquels figure en premier lieu le patrimoine culturel. La déclaration est plus large et vise aussi les dérives de la propriété industrielle qui conduisent par exemple à breveter le vivant, ainsi que la protection des ressources naturelles, biens communs par excellence (mais si loin de l’être dans les faits). Ce n’est pas la première fois que l’on remarque une passerelle entre l’approche écologique et la problématique de l’accès ouvert au savoir, grâce justement à la notion de bien commun qui fait le lien entre les deux. C’est ce que l’on peut constater également en lisant le très beau texte « De la propriété intellectuelle à l’accès ouvert aux savoirs » sur le site des Verts brestois (Brest ouVert). Et ce n’est certainement pas un hasard si les travaux de la dernière lauréate du Prix Nobel d’Economie, Elinor Ostrom, l’ont conduit à s’intéresser aussi bien à l’écologie qu’aux licences libres.

[Cela dit, personnellement, je me sens encore beaucoup plus noir que vert].

III A ne pas manquer cette semaine

L’association des professionnels de l’information juridique, Juriconnexion, organise le jeudi 3 décembre sa journée d’étude annuelle sur le thème « Information juridique : situation de crise ? Outils et stratégie de valorisation de la documentation juridique ». J’aurai le très grand plaisir d’animer un atelier à propos de l’usage des réseaux sociaux dans le domaine du droit aux côtés de Déborah Potelle de l’équipe des Geemiks de la médiathèque de l’ESC Lille. Je trouve très positif (et significatif) que des professionnels du droit fassent appel à deux bibliothécaires pour traiter un tel sujet. Pour ma part, je me souviens de la révélation qu’avait constituée la découverte de l’Univers Netvibes de Juriconnexion, l’une des premières réalisations de ce genre dans le domaine du droit. D’après ce que je me suis laissé dire, il resterait encore des places pour la journée du 3…

IV Cuisine interne

Depuis quelques temps, je m’amuse comme un petit fou avec Pearltrees.

J’ai longtemps eu du mal avec ce service, que je trouvais très élégant, mais sans parvenir à lui trouver une place entre mes favoris delicious et mon agrégateur. Finalement, je perçois mieux à présent la manière dont on peut tirer profit de cet outil à mi-chemin entre cartographie heuristique, scénographie du web et nouveau « théâtre de mémoire ».

De plus, il existe déjà une facette juridique dans Pearltrees (pas très développée mais intéressante) et je suis persuadé que l’on peut inventer des usages innovants dans le domaine du droit. J’en parlerai certainement dans un prochain billet, lorsque j’aurai fait plus d’expériences.

D’ici-là, je vous invite bien sûr à aller tester l’outil et pourquoi pas, à visiter mes arbres de perles.

calimaq//


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