Rémunérer les amateurs pour valoriser les externalités positives

Il y a quelques jours, Rue89 a publié un entretien avec Bernard Stiegler, directeur de l’IRI (Institut de Recherche et d’Innovation), intitulé « Nous entrons dans l’ère du travail contributif« . Ce texte est particulièrement intéressant dans la manière dont il jette des ponts entre les transformations du monde du travail, sous l’effet du développement des pratiques collaboratives ; le modèle de l’Open Source et des logiciels libres appliqués à d’autres secteurs de l’économie ; la place croissante des travailleurs indépendants et le rôle concomitant des espaces de co-working et d’innovation (FabLabs, HackerSpaces, etc) ou encore la mutation des simples consommateurs en contributeurs actifs.

bees. Par Kokogiak. CC-BY. Source : Flickr.

L’interview contient un passage particulièrement intéressant concernant la place des amateurs dans cette nouvelle économie du travail contributif et l’idée qu’il conviendrait de les rémunérer :

 

C’est le règne des amateurs ?

Oui. Le contributeur de demain n’est pas un bricoleur du dimanche. C’est un amateur, au vieux sens du terme. C’est quelqu’un qui est d’abord motivé par ses centres d’intérêt plutôt que par des raisons économiques.

Il peut d’ailleurs développer une expertise plus grande que ceux qui sont motivés par des raisons économiques.

C’est un changement radical, comment le mettre en œuvre ?

C’est un nouveau modèle du travail. Je parle de « déprolétarisation ». On n’apporte pas seulement sa force de travail, mais du savoir. C’est une plus-value énorme.

[…]

Mais ces contributeurs, faut-il les rémunérer ? Si oui, comment ?

Oui, il faut les rémunérer. Je ne dirais pas exactement qu’il faut rémunérer les amateurs sur le modèle des intermittents, mais qu’il y a des solutions dont celle-ci.

Concernant le montant de la rémunération, il pourrait y avoir une formule avec une part salariale et une part sous la forme d’un intéressement contributif. On peut imaginer des trucs comme ça. Tout cela relève d’une valorisation de ce que l’on appelle les externalités positives.

Et Bernard Stiegler plus loin de conclure :

Nous vivons actuellement dans une phase de transition, où tout l’enjeu est, en France, pour le gouvernement actuel, d’arriver à dessiner un chemin critique pour notre société : un chemin où l’on invente une véritable croissance fondée sur le développement des savoirs, et où l’on dépasse le modèle consumériste.

Cette proposition de rémunération des amateurs rejoint plusieurs de mes préoccupations centrales et notamment mon intérêt pour le modèle de la contribution créative, développé par Philippe Aigrain et intégré dans les « Éléments pour une réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées » de la Quadrature du Net.

Ouvrir et transformer les entreprises

Bernard Stiegler mélange à mon sens deux choses différentes dans ses propos. Des travailleurs contributeurs participants à l’activité d’une entreprise et des individus contributeurs créant en ligne des contenus assimilables à des oeuvres de l’esprit au sens de la propriété intellectuelle. La séparation entre les deux peut être assez poreuse, dans nos sociétés où nous devenons de plus en plus des travailleurs « intellectuels » (c’est chose flagrante dans le secteur du logiciel). Mais des circuits différenciés de rémunération peuvent être envisagés.

Bees. Par cipovic. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr.

Bernard Stiegler écarte, à juste titre, le modèle des intermittents du spectacle pour rémunérer les amateurs-contributeurs. Ce mode de financement, assimilable à une forme de « fonctionnarisation » des créateurs traverse une crise profonde et il paraît difficile en ces temps de crise budgétaire de l’Etat d’étendre le système aux amateurs.

Pour ce qui est du travail collaboratif en entreprise, j’avais pris l’exemple dans un précédent billet de l’entreprise canadienne Sensorica, qui fonctionne déjà de manière décentralisée et ouverte sur la base de contributions :

SENSORICA n’a pas d’employés, mais des contributeurs, qui peuvent apporter selon leurs possibilités de leur temps, de leurs compétences ou de leur argent. Pour rétribuer financièrement les participants, la start-up utilise un système particulier qu’elle a créé et mis en place, dit Open Value Network.

Ce système consiste en une plateforme qui permet de garder trace des différentes contributions réalisées par les participants aux projets de SENSORICA. Un dispositif de notation permet aux pairs d’évaluer les contributions de chacun de manière à leur attribuer une certaine valeur. Cette valeur ajoutée des contributions confère à chacun un score et lorsqu’une réalisation de SENSORICA atteint le marché et génère des revenus, ceux-ci sont répartis entre les membres en fonction de ces évaluations.

Cela va donc plus loin que ce que Bernard Stiegler envisage (rémunération via une part salariale et une part sous la forme d’un intéressement contributif), parce que la propriété même de l’entreprise est partagée, ce qui en fait un bien commun à part entière. A ce sujet, il faut lire les vues de Michel Bauwens sur la Peer-to-Peer Economy et l’émergence de nouvelles structures de production, basées sur la « coopération radicale » et la gestion en commun des ressources. On rejoint aussi le concept d' »économie de la pollinisation » développé par Yann Moulier-Boutang.

Rémunérer les créateurs en ligne

Mais il est clair qu’une large part du « travail contributif » dont parle Bernard Stiegler ne s’exerce pas aujourd’hui dans le cadre d’entreprises, mais est effectué par les individus sur leur temps « libre », par le biais de la création et de la mise en ligne de contenus assimilables à des oeuvres de l’esprit, qu’il s’agisse de textes, de photos, de vidéos, etc. Cette création s’effectue de manière décentralisée, à partir des sites personnels des individus ou via des plateformes de partage de contenus, type YouTube ou Facebook, exercant un puissant effet de recentralisation.

Le poids de ces « User Generated Content » dans la valeur globale d’Internet est énorme, mais il est globalement rejeté dans l’ombre dans la mesure où ils sont essentiellement produit pas des amateurs, alors que les schémas mentaux traditionnels n’accordent de valeur aux contenus culturels que s’ils sont produits par des professionnels. Il est à ce sujet assez inquiétant de voir que la Commission européenne vient de lancer des travaux sur les User Generated Content, sur des bases complètement biaisées qui ne peuvent que maintenir cette césure artificielle entre les contenus amateurs et professionnels.

C’est le grand mérite des « Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées » de dépasser la distinction professionnels/amateurs et d’envisager rémunérer également rémunérer ces derniers pour les « récompenser » d’avoir posté des contenus en ligne.

Cette rémunération passerait par des systèmes de financement mutualisés qui pourraient prendre trois formes :

  • La mutualisation coopérative volontaire : ce sont les systèmes de crowdfunding que nous connaissons déjà, de type KickStarter, Ulule, KissKissBankBank, qui commencent déjà à produire des effets importants pour la production des contenus en dehors des circuits traditionnels ;
  • La mutualisation organisée par la loi : il s’agit là de la contribution créative, qui consiste à prélever un surcoût sur les abonnements internet des foyers connectés pour rémunérer les contenus en fonction de leur taux de partage en ligne. Elle s’accompagne d’une légalisation du partage non-marchand et présente pour principale différence par rapport à des propositions de type licence globale de s’appliquer aussi bien aux contenus culturels produits par des professionnels qu’à ceux créés par des amateurs. Toute personne postant volontairement des contenus en ligne pourrait prétendre en toucher une part.
  • Le revenu de base (ou revenue de vie, revenu d’existence, etc) : consistant à accorder à tous les citoyens un revenu inconditionnel durant toute leur existence sans contrepartie. C’est sans doute la mesure qui prendrait le mieux en compte l’émergence de cette nouvelle économie de la contribution et la nécessité de valoriser ces externalités positives que nous sommes tous amenés à générer.
A bee at work. Par Andreas. CC-BY-SA. Source : Flickr.

Faire évoluer la conception de la valeur

Lors de notre audition par la mission Lescure en septembre dernier pour le collectif SavoirsCom1, nous avions beaucoup insisté, Silvère Mercier et moi, sur la nécessité de prendre en compte les productions amateurs dans la problématique du financement de la création. Ce que nous avions dit, c’est que dans une économie de l’abondance, le fait de ne pas reconnaître de valeur aux contenus produits par les amateurs conduit à ce que cette valeur soit captée par des plateformes de type YouTube, Facebook ou autre, qui se les « approprient » par le biais de leurs conditions générales d’utilisation (CGU). C’est devenu une source majeure de monétisation et une affaire comme celle qui a frappé Instagram récemment a montré toutes les tensions que pouvaient générer ce bras de fer pour l’appropriation des contenus amateurs.

D’autres évènements survenus récemment n’ont fait que confirmer l’importance de faire sortir les contenus amateurs de l’angle mort dans lequel ils sont encore plongés. L’affaire de la Lex Google a été particulièrement emblématique de ce point de vue. L’enjeu pour la presse française dans ce dossier n’était pas seulement économique ; il était aussi d’ordre symbolique. Il s’agissait pour ces professionnels issus de l’univers du papier de conforter leur statut vis-à-vis de nouveaux entrants comme les pure player de l’information. De ce point de vue, l’accord signé entre la presse et Google les conforte majoritairement dans cette « légitimité ».

Mais il existait un enjeu plus large, qui aurait pu consister justement à faire apparaître la valeur des contenus produits par les blogueurs-amateurs et leur rôle dans la diffusion de l’information en ligne. J’avais de ce point de vue avancé, qu’aussi bien pour les professionnels que les amateurs, une solution de type contribution créative aurait été largement préférable à ce financement de la part de Google, qui renforce encore la main mise du moteur de recherche sur l’écosystème de l’information en ligne.

Bluetouff sur son blog va encore plus loin et estime que si Google paye la presse française, alors la presse devrait également payer les internautes, car eux aussi donnent de la valeur aux articles en les partageant !

Et si la presse rémunérait sa vraie source de valeur… comme Google le fait pour elle ?

Google n’est pas le seul à générer du trafic. Les internautes qui partagent des informations sur Facebook et sur Twitter … voilà l’origine première de la valeur des sites des presse aujourd’hui, car ce sont eux qui permettent à la presse d’accroitre le plus considérablement leurs revenus publicitaires. Est-ce pour autant que la presse va décider de reverser une partie de ses revenu publicitaires aux internautes qui partagent le plus leur information ? Ceci serait pourtant légitime…

On en arrive alors à l’idée d’un « travail invisible », accompli par les internaites et c’est une des notions-clé du récent rapport Colin & Collin sur la fiscalité du numérique. Ce rapport contient en effet en filigrane l’idée que les individus, par les données qu’ils produisent du fait de leurs activités sur Internet, accomplissent un « travail gratuit », source de valeur, qui devrait être pris en compte dans le régime fiscal des géants du web que sont des entreprises comme Google, Amazon, Facebook ou Apple. L’idée concomitante d’un taxe sur l’exploitation des données personnelles me paraissait aussi intéressante, malgré ses difficultés d’application concrète. Je lui reprocherai surtout de ne pas faire suffisamment la distinction entre les simples données produites par les individus (données personnelles) et les contenus assimilables à des oeuvres, qui ne sont pas à mon sens à ranger dans la même catégorie.

Mais le rapport Colin & Collin repose sur une philosophie qui ne me paraît pas si éloignée de celle qui est à l’oeuvre dans la contribution créative, à savoir la nécessité de reconnaître la valeur de la contribution des myriades d’amateurs dans le système de l’économie numérique et celle de peser pour éviter une trop grande centralisation des échanges sur des plateformes qui finissent par capter l’essentiel de la valeur produite.

Cette valeur, il est juste qu’elle revienne sous une forme ou une autre aux individus qui ont contribué à la faire émerger. Le détour par la fiscalité ferait qu’une partie de cette valeur serait redirigée vers l’Etat. Mais la mise en place de financements mutualisés aboutirait à un retour plus direct de la valeur vers les individus qui l’ont créée. Les deux formules ne sont cependant pas nécessairement à opposer, mais elles peuvent jouer un rôle complémentaire de rééquilibrage du système.

Contrairement à ce que l’on pense trop souvent, la contribution créative n’est pas seulement une réponse apportée au problème du piratage des oeuvres. Elle vise également à faire évoluer le système économique global lui faire prendre en compte les caractéristiques essentielles de la révolution numérique et en premier lieu, l’explosion du nombre de créateurs et « l’empowerment » culturel qui en résulte. « Développer une véritable croissance liée aux développements des savoirs » comme l’appelle Bernard Stiegler de ses voeux, nécessite de mettre en capacité les individus de s’investir dans les pratiques créatives et cela passe par une forme de rémunération des amateurs.

Les propositions de Bernard Stiegler sont stimulantes, mais ce qui leur manque peut-être, c’est de s’appuyer sur la théorie des biens communs, qui paraît mieux à même de lier tous ces éléments en un tout cohérent.


44 réflexions sur “Rémunérer les amateurs pour valoriser les externalités positives

  1. Tout à fait d’accord avec ton analyse Lionel.
    La lecture de cet interview m’a laissé une impression d’amalgame voire d’optimisme béat.
    Pour que l’horizon de développement sociétal dont parle Stiegler se construise, il est nécessaire d’y intégrer les concepts et les rapports de force que nous travaillons au travers des « biens communs ».
    Je remarque d’ailleurs, puisque tu cites les thèses de YMB et je te rejoins encore là-dessus, qu’il a justement fait partie des universitaires auditionnés par la mission Colin & Collin, que tu rappelles aussi…

    1. Merci ! J’avais songé à toi en effet en écrivant ce billet. Cela rejoint des discussions que nous avons pu avoir. Et je ne suis en définitive pas surpris de voir que la mission Colin & Collin a croisé le chemin de Yan Moullier-Boutang.

    2. Un article passionnant, qui rentre dans le vif du sujet ! (et poursuit ce que Stiegler dans l’entretien – très court ! – ne développe pas. Je ne doute pas que la théorie des biens communs soit en toile de fond de sa pensée). Voir aussi sur ces sujets, le concept de DigitalLabor (http://digitallabor.org). Pour info, ça fera partie de nos sujets d’investigation à la FING cette année, dans le cadre de l’expédition Digiwork (http://www.fing.org/?-Digiwork-). A suivre donc…

  2. Oui, optimisme béat qu’on retrouve dans son audition à la commission Lescure : il faut mettre des doctorants dessus, et ils anticiperont les mutations et ça réglera les problèmes. A propos de problème, SENSORICA, il faut faire gaffe, on est très proche du travail dissimulé, qui plus est du travail non réglementé, puisqu’une contribution peut être jugée inutile, et donc l’échec n’est pas rémunéré. Transposons dans le monde du travail salarié : si vous êtes improductif un jour, vous n’êtes pas payé ? Il faut faire attention, le crowdsourcing a deux facettes, le positive (wikipédia à but non lucratif et vraiment communautaire – appel aux trolls ?) et qui appelle à la « mutualisation organisée par la loi » que tu décris et l’autre (Pas nécessairement SENSORICA, mais les nombreuses entreprises qui exploitent le travail avec une rémunération injuste – attention au jugement par les pairs !) et qui doit être encadré par le droit du travail à mon avis

    1. Oui, effectivement Stiegler a été auditionné par la mission Lescure (j’avais manqué ça) http://www.gouvernement.fr/gouvernement/mission-culture-acte2-audition-de-bernard-stiegler-audio

      Et on trouve ici une synthèse de ces propositions : http://humeursnumeriques.wordpress.com/tag/bernard-stiegler/

      Je ne nierai pas que l’appel au travail contributif dans les entreprises doive être encadré par le droit du travail pour éviter les abus.

      Néanmoins, je pense que cette piste mérite vraiment d’être creusée, notamment ce modèle où l’entreprise devient véritablement un « bien commun ». Il faut aller voir dans le détail comment fonctionne Sensorica, c’est vraiment très inspirant.

  3. Revenu de base / Partage… Stiegler passe à côté. Il faut forcer les nouveaux esclavagistes à redistribuer… sinon ça va très mal finir, et plus vite qu’on ne le pense. Et cette décision peut ne dépendre que de nous. Nous laissons faire. Nous nous laissons tous exploiter.

  4. Sincèrement, je suis assez sceptique sur le modèle… La valeur économique de tâches bénévoles et volontiers invisibles est un débat de longue date (femmes au foyer, bénévoles associatifs, etc.) : la valeur économique en est reconnue, mais n’arrive jamais à se transformer en source de revenus, justement parce que peut-être la notion de revenus est contradictoire avec cette forme d’engagement. Ou alors, on met en place un système coopératif (tel l’entreprise Sensorica citée), mais effectivement on navigue entre revenu d’appoint aléatoire (alors que l’entreprise doit assurer quelques coûts constants et doit donc compter sur des personnes sûres et rentables), et montage sophistiqué d’exploitation de la force de travail des contributeurs (ce qu’exprime très bien le modèle type Facebook), ou prise en charge par les porteurs d’intérêt général (collectivités publiques et État), ce qui revient au RSA ou aux intermittents, justement jugés insatisfaisants en équilibre général.
    Au fond, je me demande si Wikipedia n’est pas, dans le monde numérique, la seule vraie forme alternative de génération de valeur sans rétribution autre que symbolique. Plutôt que de vouloir construire un modèle de la contribution rémunérée, ne vaut-il pas mieux générer des écosystèmes de contribution bénévoles, et laisser les acteurs économiques inventer de nouvelles opportunités économiques : les logiciels libres en sont un bon exemple : ils restent libres et non rémunérés, mais des sociétés se greffent dessus pour construire des services qui seront eux payants et rémunèreront des gens.

    1. Je peux comprendre les réticences face à ce type de propositions, car elles bousculent en profondeur les schémas existants.

      De plus en plus, je tends à penser qu’une réforme de type revenu de base serait la plus intéressante, car elle a de conserver la « gratuité » des actes. Une somme d’argent inconditionnelle est versée à chaque individu tous les mois, pour lui permettre de se consacrer à des actions bénévoles, à de l’engagement associatif, à se former ou à se consacrer à une activité créatrice. Cela n’empêche pas bien sur d’être salarié par ailleurs pour gagner davantage, mais avec ce système, on conserve des contributions volontaires et gratuites.

      Néanmoins, je pense que les deux autres formes de financement mutualisé : contribution créative et crowdfunding ont un rôle important à jouer dans la création des contenus culturels.

      1. … sauf que donner une somme d’argent à tout le monde (car tout le monde est susceptible de faire œuvre de contribution) revient à ne rien donner, les activités marchandes ajustant leurs tarifs pour intégrer cette hausse généralisée des revenus. Eh non, ça ne marche pas…
        Néanmoins, je pense aussi qu’il existe des formes intéressantes de rétribution de la création qu’il faut guetter, en veillant à ce qu’elles ne contreviennent pas au droit du travail ni ne se transforment en usines à cash alimentées par les généreux contributeurs… joyeusement exploités.

        1. Ce que montre cette réponse, c’est simplement que le « droit du travail » fait partie de ce rapport de force. Ceux qui sont intégrés au système maintiennent les autres dehors. C’est ce à quoi on a assisté avec la « préférence pour le chômage » du pacte social français. Le sujet de l’article est précisément de trouver une solution à ce problème, contres les stratégies de temporisation pour maintenir le statut quo.

  5. N’oublions pas non plus que l’activité amateur va à l’encontre de nombre de politiques tant locales que nationales. Combien reste-t-il de bibliothèques associatives, par exemple ? une poignée. Pourquoi ? Parce que pour pouvoir bénéficier de subventions ou d’un accès aux réseaux départementaux, il y avait obligation de professionnaliser, d’où le plus souvent une municipalisation. On a eu le même genre de programmes pour d’autres activités (la diffusion de spectacles dans certaines régions, etc.)

  6. « Un dispositif de notation permet aux pairs d’évaluer les contributions de chacun de manière à leur attribuer une certaine valeur ».

    Bonne idée. Comme la contribution créative. Il faudrait effectivement trouver un système pour valoriser des apports aujourd’hui bénévoles.

    Toutefois, les plus créatifs sont souvent les mieux formés, les plus aisés et ceux qui ont accès aux meilleurs emplois, non ? Est-ce que ça ne revient pas finalement à ce que ce soit toujours les mêmes qui continuent à s’enrichir ?

    Le revenu de base parait plus équitable. Toutefois, cela ne nécessiterait-il pas de repenser tout l’ensemble du fonctionnement de la société actuelle et non seulement la place des amateurs dans celle-ci ?

  7. Ce billet et l’ensemble des discussion qui le suivent sont passionnants, et mériteraient la poursuite d’un débat. En effet il y a une vraie tension entre le besoin de rémunération (notamment dans l’optique de la libération de temps pour des activités ou de l’acquisition de compétences) qui motive la contribution créative et le risque d’érosion de la distinction entre travail salarié (ou rémunéré) et activité non-marchande (cf. faq 21 dans Sharing, http://www.sharing-thebook.com/comment/chapter-11-counter-arguments). Il existe également un risque cette forme de reconnaissance indirecte (anonyme) incite à une recherche d’audience ou de reprise alors que des mécanismes de reconnaissance plus directe par des pairs peuvent avoir une valeur culturelle plus immédiate. Je reste cependant persuadé que qu’une rémunération fondée sur des indicateurs d’usage bien pensés est utile. Le fait même qu’elle émane d’une communauté « universelle » limite (sans le supprimer totalement) le risque qu’elle se substitue au droit du travail dans les relations contractuelles.

  8. En plein dans le mille! Merci pour toute cette analyse.

    Revenu de base oui. Licence créative oui. Mesure de la valeur par les pairs oui.

    Attention cependant aux frontières entre le marchand, le non marchand. L’espace culturel, artistique a une énorme valeur mais il n’est pas monétisé. C’est à la fois une chance pour les GAFA et un problème pour l’amateur. Cependant le monétiser le rend marchand et sous-tend des comportements économiques stupides liés à la récompense et dé-corrélés du plaisir initial de la contribution bénévole.

    Mesurer, reconnaître, valoriser : Oui, monétiser : pas toujours, pas systématiquement.

    2 problématiques parallèles :
    1) Reconnaître et valoriser les contributions libres et spontanées
    2) Protéger et empêcher la capture de la valeur de ces œuvres par les plateformes centralisées, capitalisées et monétisantes

    Intéressant aussi cette vidéo de Dan Pink sur ce qui nous motive et les facteurs de récompense pour des tâches. Lorsqu’on monétise ou que l’on offre des récompenses on transforme le jeu et les règles, le revenu de base dans ce sens rend autonome et libère de la course à la récompense.

    Nous arrivons à un nœud central du système de rémunération et valorisation des contributions. D’un modèle salarial et encadré à des pratiques de plus en plus libres, décentralisées et spontanées, bienvenue dans la société de la connaissance.

    Passionnant, inspirant, tout est à faire!

  9. Article et sujet passionnant. Hélas, Stiegler et la plupart des chercheurs qui étudient la figure de l’amateur (Flichy entre autres) oublient trop souvent que si l’amateur est une figure omniprésente d’internet, son corollaire, l’opportuniste professionnel l’est également. Et tout système voulant valoriser la participation, la création de contenu d’amateurs, se verra envahi très très rapidement de professionnels qui seront là pour profiter du système de façon plus ou moins automatisée.

    N’oublions pas que dans un système contributif (comme la wikipédia par exemple), le problème n’est pas les amateurs, mais les professionnels qui détournent le système à leur profit (communication, seo, visibilité, trafic, lobbying, etc.).

    Un système qui voudrait valoriser les amateurs devrait donc – et c’est un préalable incontournable à mon avis – déjà travailler sur la façon de virer ces opportunistes, du communiquant du dimanche au professionnel de la manipulation.
    Allez, les chercheurs, va falloir élargir votre corpus pour pouvoir être efficaces !

  10. Je crains que ces « professionnels » que sont BS, YMB, C&C et d’autres qui captent ici notre attention, s’interdisent pour le moment de penser jusqu’au bout. La problématique qu’ils abordent conduit tout droit à une question encore tabou qu’aucun n’évoque : celle de la « structure de la monnaie ». Comment est-elle crée ? Sur quel type de réseau est-elle échangée ? Quelle est-sont lien avec l’identité numérique ? Comment pourrait-elle muter pour garantir à chacun le droit d’exister de contribuer comme bon lui semble au bien commun ?
    Encore une fois, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le boulot de réflexion, de proposition et de création est fait par des « amateurs ». Dans les vidéos ci-dessous, la question est abordée en prenant comme point de départ la structure du réseau :

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